La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Dans le bruit du temps

novembre 2008 | Le Matricule des Anges n°98 | par Thierry Cecille

Olga Sedakova est poète : c’est en poète qu’elle traverse et décrit l’espace et l’histoire de son pays, l’URSS agonisante puis la chaotique Russie.

Voyage à Briansk (suivi de) Don de la liberté (et de) Quelques mots sur la poésie, sur sa fin, son commencement et sa continuation

Voyage à Tartu & retour (suivi de) Poésie et anthropologie (suivi de) Quelques remarques sur l’art de la traduction

En 1984, Olga Sedakova est invitée à venir présenter son travail de traductrice à Briansk, à la frontière de l’Ukraine et de la Biélorussie. Elle s’y rend sans enthousiasme : c’est qu’il faut bien vivre - en poète ! - et que cela n’a rien de simple à l’ère post-brejnevienne. Elle frémit à l’avance à la pensée de ce qui l’attend : impossibles dialogues avec les « pionniers » - « enfants décervelés, transformés en pantins de bois - l’histoire de Pinocchio à rebours » - et lectures à l’usine. Elle se demande avec angoisse non pas ce qu’elle va dire mais : « De quoi ne dois-je pas parler ? » Ces trois jours se dérouleront alors dans une atmosphère fantastique, entre Gogol et Boulgakov, comme si les « âmes mortes » hantaient toujours ces espaces boueux et brumeux. Tout soupçon d’esthétisme ou de formalisme est poursuivi avec hargne (Kafka, par exemple, est « fasciste dans sa mentalité »), il y a pénurie de papier et on doit échanger de vieux chiffons pour obtenir un livre, on résiste faiblement en écoutant Vyssotski en cachette. Pas de doute, le « nÏud coulant du quotidien glacé » (Kivouline) menace les nuques qui peinent à se redresser… En 1993, c’est à Tartu, en Estonie, qu’elle doit, avec d’autres écrivains et universitaires, aller assister à l’enterrement de Youri Lotman, sémiologue (qui connut son heure de gloire, chez nous, du temps du Plaisir du texte de Barthes). L’URSS est morte mais la situation n’est, pour les poètes pas plus que pour l’ensemble des citoyens, guère plus réjouissante. Elle l’avait prédit dans le texte précédent : « Comme l’a promis un de nos dirigeants : si nous sommes obligés de partir, ce sera en claquant la porte. Oh, quelle porte ils peuvent claquer ! » Le seul motif de se réjouir, c’est bien que les républiques hier encore nommées satellites se soient enfin détachées de l’attraction néfaste de Moscou, que cette Estonie soit « enfin libérée de nous » : peut-être que « sans nous il fera bon vivre ici » ! Mais le voyage (l’aller et le retour, l’un et l’autre aussi burlesques et quasi épiques) est l’occasion de se confronter à un passé qui ne passe pas, à un présent en devenir hésitant, périlleux. Partout surgissent « nos symboles sans sépulture » : on ne sait ce qui agonise encore ou commence à naître, la fin du régime soviétique a pris « une forme plastique bien définie. Le groupe de Laocoon. Avec cette complication : et le sacrificateur troyen lui-même avec ses fils, et les serpents venus d’ailleurs, de l’emprise desquels ils s’efforcent de se dégager, ne constituent qu’un seul et même personnage. La société se dégage de sa propre emprise, et s’étouffe elle-même. »
On retrouve la même ironie discrète, la même précision dans l’analyse et la même modestie non dénuée d’une calme assurance dans les différents textes plus théoriques qui accompagnent, dans ces deux beaux volumes (on ne peut qu’admirer la qualité de l’édition, de la traduction, des riches annotations éclairantes), ces deux chroniques de voyages ratés - mais ô combien révélateurs. Qu’il s’agisse pour elle de déterminer dans quelle mesure la poésie peut être une voie de connaissance (« Poésie et anthropologie ») ou de préciser les principes et exigences qui guident son travail de traductrice (« Quelques remarques sur l’art de la traduction »), Olga Sedakova témoigne toujours du même souci : être au « cœur » de l’existence et du monde. « L’espace de la poésie ne possède qu’une seule coordonnée : sa distance par rapport au cœur, au centre » et la perte de la poésie serait la perte de ce cœur irradiant, « l’incapacité et le refus d’éprouver le monde comme centré », la course sans frein vers l’abîme, sans plus aucun espoir.

Voyage à Briansk et Voyage à Tartu & retour d’Olga Sedakova, traduits du russe par Marie.-Noëlle Pane et Philippe Arjakovsky, Clémence Hiver, 108 et 116 pages, 12 et 13

Dans le bruit du temps Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°98 , novembre 2008.