Conférence N°27 (L’Usage du temps, De la démocratie)
On peut passer l’hiver avec Conférence : l’expérience ouvre un voyage, une traversée dont on ressort avec l’idée d’avoir donné du temps à l’intelligence, à la rigueur, sans jamais oublier que s’y envisage là une critique politique du monde actuel, comme dans ce N°27 où poèmes, proses et essais se rassemblent autour de « L’usage du temps » et de « De la démocratie ». Conférence le rappelle avec Montaigne sur chacun de ses frontons : « la cause de la vérité devrait être la cause commune ». Le formidable essai de Sophie Iturralde, qui précède un long entretien avec le philosophe Paul Virilio, porte sur les rapports entre le dégoût du présent, l’ennui et la violence du travail. À lui seul, ce travail réflexif synthétise ce que chacun peut ressentir aujourd’hui comme « un mur d’ennui surmonté de tessons de colère » (Pessoa). La condition des Temps modernes, tel que le film de Chaplin (p.42) l’incarne aussi, est ce qui se doit d’être ressenti, jusqu’à l’écrasement, « comme l’émotion qui domine l’existence au point de la marquer de son sceau, puisque selon Pascal, lorsqu’on ne l’éprouve pas, c’est qu’on la fuit dans le divertissement ».
Le rapt de notre temps dans l’excès quantitatif de l’activité forme autant ici la possibilité de ce que Günther Anders appelle « l’obsolescence de l’homme », qu’il renvoie à la question du suicide, à la fatigue de vivre. Gilles Gourc, dans le journal de « Corps au travail », 300 pages plus loin, répond à cet ennui par l’usure que produisent l’usine, les levers à l’aurore, les trajets en bus : au travail posté, le corps répète la même chaîne de mouvements et « dans la répétition du geste, dit-il, l’esprit non utile n’est qu’un obstacle, une souffrance. Quelquefois, on en vient à souhaiter l’abrutissement définitif, la lobotomie « ». De la démocratie » et de « L’usage du temps » s’entremêlent et créent une politique de l’écriture, que l’on retrouve dans la longue série du poète Gianni d’Ellia : son portrait de l’Italie berlusconienne concurrence celui qu’en fit Nanni Moretti dans son film Caïman : « pour ce qu’il y a/ de plastics et poisons/ le monde éclate/ en forme antiphrastique// Guerre à la vie/ aujourd’hui pire qu’hier !/ Et la poésie bannie/ par les mafieux et les idiots ! ». Une véritable lutte avec l’ange - que donne à voir en autant de monotypes aux noirs profonds Yves Noblet - travaille ce numéro, jusqu’au texte de Robert D. Putman, « Bowling en solo, sur le déclin du capital social américain. Les proses descriptives de Jaccottet, les » Altitudes « montagnardes de Gilbert Beaune ouvrent une autre possibilité de respirer, quand » L’Europe au mètre " d’Etienne Faure rappelle encore « cette pénombre qui donne à voir plus on la fixe/ un recoin de l’histoire à cor et à cri, mémoire/ barbelée d’un tableau de chasse/ accrocheé à un fil ».
Conférence N°27 - 636 pages, 30 € (1, route Nationale 77440 Trocy-en-Multien)