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Essais Bouleverser le regard

mars 2009 | Le Matricule des Anges n°101 | par Jean Laurenti

À partir de deux ensembles iconographiques composés par Brecht, Georges Didi-Huberman interroge la capacité des images à porter et à susciter un questionnement du monde.

Quand les images prennent position : L’Oeil de l’histoire vol.1

Depuis le début des années quatre-vingt, Georges Didi-Huberman s’est engagé dans un vaste chantier de recherches qui s’est concrétisé par la parution d’une trentaine d’ouvrages parmi lesquels figurent L’Image survivante, La Ressemblance par contact, Ouvrir Vénus ou encore La Demeure, la souche.
L’image, les images dans leur profusion et leur hétérogénéité sont au cœur de son travail d’historien et de philosophe attaché à saisir l’essence des œuvres qu’il observe, aussi bien que les modalités par lesquelles elles interrogent la société qui les a vues naître. Des fresques de Fra Angelico aux dessins de Marcel Duchamp, des tracés stéréoscopiques de Jules-Étienne Marey, des représentations d’hystériques au XIXe siècle à la peinture de Simon Hantaï, Georges Didi-Huberman construit une approche singulière des images, une iconologie poétique et politique dont la lecture, si elle est exigeante, s’avère des plus passionnantes. Georges Didi-Huberman inscrit son cheminement dans le prolongement de ceux d’écrivains, de philosophes et d’historiens d’art tels que Aby Warburg, Erwin Panofsky, Georges Bataille, Charles Baudelaire, Walter Benjamin, Carl Einstein ou encore Maurice Blanchot.
Le livre qui paraît ces jours-ci aux Éditions de Minuit, Quand les images prennent position, est sous-titré « L’œil de l’histoire ». L’auteur l’annonce comme le premier d’une série de textes dont la vocation sera de comprendre comment, à certaines époques, des images ont alimenté des dispositifs permettant une pensée critique sur le monde, une « politique de l’imagination ». Ce livre porte essentiellement sur deux ouvrages de Bertolt Brecht : le premier, Arbeitsjournal ou Journal de travail, couvre les années d’exil du dramaturge allemand, soit 1933-1948 ; le second, Kriegsfibel, Abécédaire ou ABC de la guerre, a été commencé dès les prémices de la guerre et s’est achevé par une publication tronquée (du fait de la censure est-allemande) à Berlin en 1955. Ces deux ensembles ont en commun d’être des montages d’images (souvent légendées) découpées par Brecht dans la presse et associées à des textes composés à cet effet. Conçu dans des circonstances très difficiles, élaboré dans l’urgence, le Journal de travail a une vocation limitée : il s’agit de « prendre position malgré tout » et « ce qu’on ne peut dire ou démontrer, il faut déjà le montrer ». Didi-Huberman présente donc ce Journal de Guerre comme un « gigantesque montage de textes aux statuts les plus divers et d’images également hétérogènes qu’il découpe et colle, ici et là, dans le corps ou le flux de sa pensée associative. » Parmi les feuillets de l’Arbeitsjournal reproduits dans le livre, figure celui qui rapproche trois images : le pape Pie XII, les bras écartés en signe d’accueil ; Rommel et son état-major ; un charnier nazi en Russie. Plus loin on trouve une série de photogrammes montrant Hitler en train de « danser la gigue de la victoire » à l’annonce de la capitulation française.
Dans les pages liminaires consacrées aux implications individuelles de la prise de position comme forme de connaissance, Didi-Huberman établit un lien avec le statut ou plutôt la « position » de l’exilé qui doit composer avec une « vie mutilée » (Adorno) et « la possibilité même d’une vie de la pensée. » C’est pendant ces années d’exil que Brecht a composé ses pièces les plus abouties, celles où il donne pleinement corps à la notion de « distanciation » qui lui permet de passer de la forme dramatique à la forme épique du théâtre. C’est cette même pensée qui est à l’œuvre dans ABC de la guerre. Sans elle, on est condamné, lorsqu’on regarde des images, aux « clichés linguistiques » (Benjamin). En analysant le dispositif à l’œuvre dans cet Abécédaire, Didi-Huberman met en évidence les deux enjeux majeurs du rapport aux images : celui de leur production et celui de leur lecture qui implique « de les analyser, de les décomposer, de les remonter, de les interpréter, de les distancier » afin d’échapper aux « clichés visuels » qu’elles véhiculent. Il montre comment Brecht a cherché à provoquer chez le lecteur une prise de distance et une reconstruction du sens de chacune de ces images. Empruntées pour la plupart à la presse magazine de l’époque, elles sont accompagnées d’une légende dont Brecht désamorce l’univocité en lui ajoutant une épigramme de quatre vers, un court poème « venu comme d’un autre monde ou d’un autre temps » qui opère un déplacement radical dans la réflexion. Ainsi, dans le cadre noir qui entoure la photo d’un soldat agonisant au pied de celui qui l’a abattu, on peut lire : « Il a fallu que de sang rougisse une plage / Dont nul de ces deux n’avait l’héritage. / Ils étaient contraints, dit-on, de se tuer ainsi. / Soit, soit. Mais demande encore : par qui. » Échappant à leur simple fonction d’illustration, les images deviennent alors figures intemporelles, archétypes qui s’inscrivent dans une pensée épique, elles retrouvent « leur parole poétique, leur capacité d’adresse et d’invocation politiques. »
On se prend alors à imaginer ce que pourraient être aujourd’hui les contours d’une éducation à la lecture des images digne de ce nom. Et à se demander si une société qui repose à ce point sur les images fabriquées consentirait à voir ses bases ébranlées par trop de regards critiques…

Quand les images prennent position, L’œil de l’histoire, 1 de Georges Didi-Huberman
Éditions de Minuit, 268 pages, 22,50

Bouleverser le regard Par Jean Laurenti
Le Matricule des Anges n°101 , mars 2009.
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