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Domaine français Danse avec l’ombre

mars 2009 | Le Matricule des Anges n°101 | par Richard Blin

Roman, qui date de 1968 et marque l’entrée en écriture d’Onuma Nemon, inaugure l’art de n’être personne.

Roman : Livre de nycéphore

Roman, un titre qui sonne comme un mot d’ordre, revendique le droit à la plasticité, prescrit l’accès à une réalité composite et discontinue. Mot magique qui a tout du précieux sésame autorisant la ruse du masque et l’approche de tout ce qui fait parler et chanter, à commencer par le petit matin des premières impressions des sens. Une façon d’être fidèle à l’enfance, à son impersonnalité tour à tour hagarde, ravie ou désemparée devant la fragmentation chaotique du vécu. Roman, donc - premier volet de la future Cosmologie d’Onuma Nemon, des milliers et des milliers de pages dont nous ne connaissons que deux extraits, OGR (Tristram, 1999) et Quartiers de ON (Verticales, 2004) - est un faux roman familial donnant la parole à Nycéphore, un gamin de 8 ans, bringuebalé dans les marges urbaines du Bordeaux des années 50, au gré des perpétuels déménagements de parents désargentés contraints de chercher refuge chez les uns ou chez les autres. Vie miséreuse entre un père qui voulait être chanteur d’Opéra mais vivote comme vernisseur au tampon - un père « pas verni » qu’il aime cependant d’un « attachement furieux, bohémien, frugal, assez semblable à celui pour des zones d’herbe ou la terre du jardin noir ; je l’aimais comme j’aimais le chien, ou l’odeur de vernis » -, et une mère rendue folle par la mort du petit frère du narrateur, à neuf mois, histoire de naître « une première fois à la vie et la seconde à la mort. »
Disparu, évaporé, mort sans photographie (parce qu’avant neuf mois ça porte malheur), Didier, « ce beau climat avec un peu de vapeur qui s’élève de terre après l’orage », est le sujet manquant sur lequel se fonde l’écriture. Le trou du nom du frère comme fondation de Roman, de ce livre dont l’auteur est né et est mort en même temps que lui. D’où son nom : Onuma Nemon, né de l’anagrammatisation de Onoma, le nom en grec, redoublé de son pendant latin, Nomen, retourné en Nemon, comme Didier est retourné au néant. Autrement dit Nom Nom (non non, dit l’écho), « mon nom est Personne », l’auteur, c’est personne. Et de fait, si l’on sait qu’il est né en 1948, qu’il est cet écrivain et ce plasticien hors norme poursuivant une œuvre colossale débutée en 1966, personne ne le connaît.
Une œuvre s’édifiant donc de manière aussi paradoxale qu’audacieuse sur l’effacement du sujet et la mise en place d’un espace s’élargissant à des horizons plus vastes que ceux de la vie quotidienne, et au sein duquel un enfant, qui a perdu son frère, doit se réorienter. D’où ce roman qu’on peut lire comme la tentative de recomposition d’un puzzle dont l’image première n’existerait plus. Un livre qui joue d’effets de juxtaposition et de ruptures, qui se développe sur l’alternance rythmique du noir et du blanc, du vide et du plein, dont la vision lacunaire de Nycéphore est l’emblème, lui qui ne voit plus que d’un œil, l’autre étant fermé par la kératite (une inflammation de la cornée) et recouvert par un bandeau noir. Moitié de vue qui est trace physique de la perte du frère autant que marque visible de la piraterie d’un être écartelé entre présence et absence. Alors, autant la nuit il renoue avec les puissances nocturnes du rêve ou du cauchemar, autant le jour, il sonde le visible, faisant chanter à sa façon les choses vues. Le monde, sous son œil, se fait théâtre, devient un grand décor mouvant où le dérisoire le dispute à l’enchantement, où l’imagination double le monde réel comme l’invisible double le visible. Une façon d’aller au bout du présent, de goûter à une autre vie qui, pour être parallèle, n’en est pas moins intensément vécue. Une vie que l’on peut moduler à sa guise, à l’exemple de ce qu’il a découvert avec le cinéma. Ainsi, « plutôt que de les voir, je songeais les passants, giflés par l’éclairage des boutiques : il suffisait de remonter mentalement leur mécanique et de les observer de loin. (…) Petit à petit, je m’habituais à faire agir ainsi d’autres personnages, prisonniers de vitrines (…), ouvrant à la porte du merveilleux sans heurt ni bruit de jointures ».

La tentative de recomposition d’un puzzle dont l’image première n’existerait plus.

Une forme de participation aux objets et aux couleurs du monde. Une façon d’appréhender une réalité multiforme où tout se confond et s’entrelace, l’éphémère dans le stable comme l’esprit dans la matière. Une poétique où le Je est un autre. « J’avais été chien avant de naître, dans les Limbes, j’avais vécu à quatre pattes. Pour ça que j’avais tant de mal à comprendre souvent quand on me parlait et que je fixais les gens, hébété. »
C’est ce corps à corps avec la plasticité du réel que cherche à capter l’écriture de Roman. Car « ce n’est pas simplement une quincaillerie que l’écriture », c’est l’art d’accéder à d’autres pans de réalité, de devenir quasi mutant. Une façon d’habiter les Limbes dont Onuma Nemon est le montreur d’ombres.

Roman
Onuma Nemon
Verticales, 216 pages, 18,50

Danse avec l’ombre Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°101 , mars 2009.
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