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Choses vues Visages amis

avril 2009 | Le Matricule des Anges n°102 | par Dominique Fabre

Redécouverte d’un art méconnu du XXe siècle, où les graveurs se penchent sur les abîmes du Capital.

À la manifestation de jeudi dernier, en remontant le cortège pour voir des copains, c’est comme si j’avais remonté un long bout de ma vie en marche arrière, j’ai pas continué jusqu’au bout : je ne voulais pas voir la fin. C’était sympa de rencontrer Emma, d’avoir des nouvelles de Dorothée, du journal où j’étais correcteur il y a cinq cent dix-sept ans, et même de quelques autres collègues Educ-Nat venus du fin fond de l’ancienne forêt de Bondy. Ils avaient ressorti leur bannière : un vieux drap qui aurait du mal à flotter dans le vent, à force. On a beaucoup changé en fait, mais pas tous de la même façon. En tout cas quand on se revoit on a tous à peu près le même sourire, pendant les manifestations : avant, qu’est-ce que c’est près, et maintenant, si loin ! On était très nombreux. Même des gens peu habitués défilaient. J’ai fait un petit bout de chemin avec des jolies femmes qui bossent dans l’édition, je me suis dit hé bien t’en as du bol, mon garçon ! À un moment pourtant, j’ai arrêté de balader parmi les gens, je ne voulais pas risquer d’aller trop loin dans mes souvenirs, de creuser trop profond le passé. La vie dure très longtemps en marche arrière. We were once so young ! so unbelievably young ! (C. Bukowski). Hier soir je me suis endormi avec ces paroles dans la tête. Je voulais vous les répéter.

C’était super de partir de chez moi porte d’Ivry pour se rendre au salon du livre en tramway. Porte de Versailles. On passe sans encombres, c’est bien plus rapide qu’avant. Le grand stade Charléty se tient prêt pour toujours à accueillir les martiens ; il est toujours triste comme une sale maladie, le début du boulevard Brune, après la porte d’Orléans. Du coup à la porte de Vanves on aurait le visage plein de larmes, si on se laissait aller. J’y suis retourné le dimanche du coup, tellement c’est pratique. J’aime bien revoir des gens une ou deux fois par an. On nous a donné un badge qui disait je lis La Princesse de Clèves, des petits malins posaient des questions aux gens pour savoir si c’était vrai. Quel est le nom du type ? la couleur préférée de la fille ? Il y en avait même qui savaient, des gens bien dans leur basket qui avaient vraiment lu La Princesse de Clèves. Alors bon. J’ai aperçu des vedettes, Amélie Nothomb j’ai vu le chapeau, j’en ai deviné d’autres derrière des longues files d’attente, et j’ai trouvé ça rassurant : il y aurait toujours un grand chapeau et des files d’attente. Pourquoi ? Je ne sais pas. Et puis le soir, on a mangé avec des copains, on a passé un bon moment. J’ai vu des ombres aussi, comme à la manifestation. Mais c’était pas tout à fait les mêmes ombres. Elles me venaient de loin celles-ci. Une sœur de mon papa, je l’avais vue deux ou trois fois dans ma vie, lui je l’ai à peine connu. L’autre habite au Canada et je ne l’ai jamais rencontrée. Elle est bien âgée maintenant. Elle est arrivée seule de sa banlieue par l’autobus et le tramway. Elle a bu un jus d’orange. On a parlé. On était juste un peu gênés par un homme politique qui signait sur la chaise à côté, il avait sans doute l’habitude de parler fort. Ma tante est sans doute un peu sourde je pense et d’ailleurs moi aussi. La blonde à ses côtés n’a pas répondu à mes œillades militantes puis à mon air courroucé, au contraire ! En vrai elle a fait comme si on n’existait pas, ma tante et moi. Ils ne sont pas polis à l’Ump. Est-ce que tu te souviens ? Non. Je ne savais pas. J’aurais bien aimé savoir pourtant. Elle avait oublié aussi. Je n’avais jamais su non plus. Elle est repartie, non, décidément, je ne me souvenais pas bien. Et d’autres personnes sympas. Des visages amis, de Nîmes, de Lyon, d’Alger, de Nantes, de plein d’endroits, des inconnus aussi. Vrai : tous les visages, après un certain nombre d’années et de trous de mémoire, deviennent des visages amis je crois bien.

Avec mon fiston on devait aller voir Bashung le 3 mars, la date avait été reportée à la fin avril. Il est bien triste, et moi aussi, on ne l’aura jamais vu en concert. Après on a eu quelques nuits écourtées lui et moi à regarder les clips d’Alain aux heures tardives des rediffusions. Le cheval blanc qui tourne au trot, j’entends encore le bruit des sabots dans ma tête : Joséphine. Sa version des Mots bleus. Bashung était le seul rocker qui donne envie de se marier, exprès pour se faire réciter le Cantique des cantiques. On va choisir un autre concert pour ne pas le remplacer, mais qui ? Il n’a pas encore décidé.

En attendant, nous sommes bien sages et nous profitons du soleil. Au café Pourpre, en bas de chez moi, les gens sont bien installés en terrasse. Tous, chômistes et travailleurs, nous occupons de soigner notre teint en lisant La Princesse de Clèves. Nous faut-il prendre des forces pour le mois de mai ? Ou bien il s’agit seulement de se soutenir le moral, qui aime la chaleur du soleil et le farniente pendant la pause déjeuner, ou d’ailleurs n’importe quand, avant qu’il ne soit trop tard. Le gardien de l’immeuble a remisé ses sudoku. Il a un ordi maintenant dans sa loge et je ne sais pas trop ce qu’il fricote. Quels nouveaux jeux vont l’occuper ? Je suis content de revoir mon voisin le jardinier, ces derniers temps il avait disparu de l’autre côté des Maréchaux, là où habitent ses vieux copains de pétanque et de dominos. Il a le sourcil en broussaille, et, quand il se tient devant la grille de son jardin, il a un air très réfléchi, un peu soucieux même, l’hiver n’a pas épargné son terrain. Le long des Maréchaux, sur le trajet du bus PC2, de plus en plus ralenti par les nouveaux travaux du tramway, les gens logés tout cet hiver dans les wagons Sncf désaffectés sur la petite ceinture croisent parfois les bras sur les vitres ouvertes du train, et regardent alentour comme s’ils venaient de débarquer.

Visages amis Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°102 , avril 2009.
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