Nu(e) N°40
On se sent toujours au bord d’être voyeur lorsqu’on lit ces revues qui consacrent leur livraison à un écrivain vivant. Les amis viennent tracer les contours d’une complicité qui ne nous désigne pas comme destinataires des mots qu’ils écrivent. Témoignages affectueux par-dessus nos épaules. Ce sentiment est d’autant plus fort dans ce N°40 de la revue Nu(e) que l’auteur célébré est Yves Charnet. Autrement dit un écrivain qui sait ce que la corne du taureau de Leiris signifie. Son écriture poétique l’a conduit, depuis Proses du fils (1993), à se mettre à nu, dans des livres troués, mouvant dans leurs formes même. L’homme s’est un temps retiré du monde, touché au cœur par une dépression qui le laissait sans voix. Ses amis écrivains, dès lors, parlent comme à un revenant, au bord du gouffre. La proximité avec le destinataire est peut-être trop forte pour certains des textes rassemblés ici par Philippe Met : le lecteur, tiers convié, ne sait ce qui s’y joue réellement. Mais, d’autres, comme ceux des comédiens Denis Podalydès et Jacques Bonnaffé nous atteignent, qu’il s’agisse d’évoquer le « mal qui ne se laisse plus dire en aucune parole » (Podalydès) ou les « pouvoirs de révélation » (Bonnaffé) que le texte lu a sur son auteur. Si beaucoup évoquent la tauromachie à quoi Charnet voue une passion gamine, c’est peut-être Jean-Claude Pinson qui en parle le mieux en dévoilant, par sa lecture, combien l’auteur de Lettres à Bautista (2008) torée sa prose. Le jazz est convoqué (Marmande, Pinson) pour dire cette écriture qui tient, fragilement, notre « homme précaire » (Émaz) ou lui fait un ultime parapet (Bernard Noël). Au final, Nu(e) parvient à dresser le portrait mosaïque d’« une âme bigarrée » (Charnet) : une preuve d’amitié.
Nu(e) N°40, 242 pages, 20 €
(29, avenue Primerose 06000 Nice)