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Des plans sur la moquette Comme des malades

juin 2009 | Le Matricule des Anges n°104 | par Jacques Serena

Si les auteurs de romans pouvaient un peu moins contribuer à relayer la version officielle du monde et des événements, ce ne serait déjà pas si mal. Ou au moins s’ils pouvaient remettre en cause l’échelle des importances dans la vie d’un être. Ou seulement jeter l’ombre d’un doute sur les notions de réussite et d’échec, ce serait déjà bien, parce que, quand même, ça devrait être un minimum, pour qui prétend se mettre à créer, de prendre la peine de se demander comment lui-même, en son for intérieur, perçoit les choses, qu’est-ce qui pour lui est vraiment grave, vital, et qu’est-ce qui ne l’est mais alors pas du tout, et qu’est-ce qui, pour lui, est bon, logique, juste, et qu’est-ce qui est tordu, grossier, abusif, au lieu de prendre pour argent comptant les versions, valeurs et poncifs assénés du matin au soir par les légions de porte-parole officiels.
Sur la notion de gagnant et de perdant, par exemple. Quand je lis en public trois pages de Beckett, Koltès, Carver, Dostoïevski ou seulement d’un de mes romans à moi, se trouve toujours un gus pour dire que les personnages sont des perdants, des aliénés, voire des séditieux, des gens bizarres dans des histoires tristes, il faut que j’entende ça, à chaque fois. Premier réflexe, j’ai envie de lui crier, au gus, de continuer de choisir ses lectures dans la vitrine du Relais H, là il ne sera pas déçu, c’est fait exprès pour lui, mais finalement, je me ressaisis et lui dis que non, parce que perdants, aliénés, séditieux, bizarres, par rapport à quoi, au fond, s’il veut bien y penser une minute. Les personnages de ces pages-là ont tenté un beau geste, ou l’amour fou, un jour d’avril, l’ont parfois frôlé de près, ou pu carrément s’y croire en plein durant presque vingt jours, ou même une seule minute, le temps que l’amie d’une amie entre sans prévenir dans le cabanon où on écrivait et sans un mot ôte sa robe. Alors après, fatalement, la lourdeur les a rattrapés, s’est salement vengée, le monde lourd, terne et légal les a retrouvés et ils en ont pâti, soit, mais au moins ces personnages-là ont tenté le coup, le beau geste, auront vibré presque vingt jours, ou une minute, et, dans mon échelle des valeurs, je dis comme Fédor dans ses Nuits Blanches : une minute de ravissement, n’est-ce pas déjà assez dans une vie humaine ? Ou comme Mick Jagger : We can’t say we’re satisfied, but we can’t say we never tried.
Et si ces personnages ont essayé, dis-je encore au gus, c’est parce que leurs auteurs ont compris que ça en valait la peine, puisque la peine on l’a de toute façon, à plus forte raison aujourd’hui, et un auteur se doit de savoir dans quel monde il vit, survit, et s’il le sait, il sait donc qu’aujourd’hui il n’a plus rien à perdre, que les objectifs prônés sont bidons, les critères caducs, comme cette idée d’un monde meilleur pour demain, ou seulement d’un Plus Jamais Ça, à d’autres, il n’y a qu’à voir, tout se répète, se répétera encore et encore, toujours pareil, toujours pire, c’est une affaire entendue, pour qui sait entendre.
Mais alors, s’alarme le gus, eux, nos dirigeants, comment se fait-il qu’ils ne le sachent pas. Le fait est, dis-je, qu’on croirait qu’ils l’ignorent, eux, ce que nous sentons, à savoir que le futur a changé de sens, qu’il nous revient en pleine poire, et qu’il n’y a plus de progrès, qu’au contraire, que leur vieux jeu est mort, bien autre chose qu’une crise, que ça ne passera pas, que la relance n’arrivera jamais, que ce ne sont pas des difficultés passagères à surmonter avec un peu de ruse de leur part, beaucoup d’efforts de la nôtre, on dirait bien qu’ils veulent continuer comme des malades à nous l’imposer jusqu’au bout, à coups de lois bricolées, ce vieux marasme dans lequel on ne peut plus que s’enfoncer, désormais, ce désastre pas du tout tombé du ciel mais conséquence fatale de leur conception bornée du monde, de leurs vieux plans de réussite et d’échec, avec l’utilitarisme comme seul critère de rapport entre les êtres.
Sauf que certains, dont je suis, n’y jouent plus, parce que, comme pas mal d’auteurs, je suis déjà mort deux fois, trois fois, au cours de cette vie, et sais donc qu’ils ont tout faux, qu’au moment de partir, ce qui reste, c’est le jour où on a tenté le beau geste, ou l’amour, les presque vingt jours où on a pu s’y croire, ou juste la minute où l’amie de l’amie est entrée dans le cabanon pour ôter sa robe.
Un auteur devrait quand même au moins savoir pourquoi il crée, pour qui, parce que la question est là. Collaborer en propageant la version malade, bornée et officielle du monde ou bien résister en osant revendiquer la sienne. Et collaborer sans le faire exprès parce que n’est pas venu à l’idée qu’on pourrait faire autrement est juste pathétique. Ou alors c’est qu’au fond on veut se retrouver dans la vitrine du Relais H.

Comme des malades Par Jacques Serena
Le Matricule des Anges n°104 , juin 2009.
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