Il s’agit d’une première rencontre du lecteur français avec Hedwig Dohm (1831-1919), dont l’engagement féministe se trouve incarné dans de nombreux textes à teneur polémique, mais aussi à travers des ouvrages de fiction. Dans la présente nouvelle, parue en 1894, abondent des éléments autobiographiques. Le je qui se met en scène est celui d’une veuve âgée, Agnès Schmidt, parvenant douloureusement, une fois ses différentes servilités (c’est ainsi qu’elle les appréhende) féminines achevées, à la découverte de sa propre identité. Elle confie à son journal intime le vécu de ses jours contemporains à l’écriture - les visites chez ses filles et les chicanes des gendres, promenades, voyages et surtout les très fortes émotions auxquelles elle est sujette - et procède, quelquefois à son corps défendant, à des retours rétrospectifs sur son passé d’épouse et de mère. Cette relation amère est le lieu de l’avènement d’une vérité sur soi : « Peut-être n’étais-je si docile que parce que depuis l’enfance on m’avait dressée ainsi ». Et, partant : « Je n’ai aucune personnalité. Je ne suis Personne. » Certes, le texte est largement indexé sur la défense de la cause féministe, à travers des formulations que l’on aimerait quelquefois plus subtiles : « Et il ne serait pas vrai que la femme est une créature inférieure, vouée aux fonctions vitales les plus basses ! ». Mais à côté de propos inutilement banals, on trouve des idées méritant réflexion surtout à l’aune de nos réalités modernes : « Mais peut-être que les enfants ne constituent-ils qu’un épisode dans la vie d’une femme, peut-être les filles cessent-elles d’être des filles lorsqu’elles sont devenues mères. C’est presqu’un anachronisme qu’elles aient encore une mère ».
Car ce qui fait surtout l’intérêt de la nouvelle de Hedwig Dohm, c’est le récit - erratique, ardent - de la quête qu’un humain entreprend de son propre être, enseveli sous des clichés, impératifs et mensonges sociaux, familiaux ou individuels. « On m’avait enchaînée. Maintenant, je me suis libérée et je déambule, errante, dans le monde, nouveau et étranger… » Cette quête prend forcément des apparences d’une folie car elle marginalise celui qui la mène et le met à distance des autres. Mais elle conduit à des prises de conscience d’intérêt indéniable : « (…) la volonté et la puissance des autres trouvent leurs seules limites en notre résistance. », voire à ce qui ressort du cri primal dont rien ne peut être retranché : « Etre ! Etre ! Tout sauf Ne-pas-être ! ».
DEVIENS CELLE QUE TU ES
DE HEDWIG DOHM
Traduit de l’allemand par Marie-France de Palacio,
José Corti, 161 pages, 18 €
Domaine étranger Deviens celle que tu es
juin 2009 | Le Matricule des Anges n°104
| par
Marta Krol
Un livre
Deviens celle que tu es
Par
Marta Krol
Le Matricule des Anges n°104
, juin 2009.