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Le Matricule des Anges
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L'Anachronique Contis-plage

juillet 2009 | Le Matricule des Anges n°105 | par Éric Holder

En écrivant cette chronique, je ne peux me livrer aux activités qui rythment en général ce moment : fumer une cigarette, gratter un petit crâne ronronnant. Car à la table où j’accroche entre eux des mots, dix personnes en font autant. Martine et Martine, aux tempéraments plus individuels, ont préféré s’exiler dans deux coins de la bibliothèque de Saint-Julien-en-Born, 40170, Landes, pour apporter leur contribution au stage d’écriture qui s’y déroule. Par les larges fenêtres, la lumière rentre à flots, on voit un palmier s’agiter dans le vent. Des cris d’enfants, en provenance d’une maternelle voisine, ajoutent à l’ambiance scolaire. C’est bon de retrouver le crissement des pointes sur le papier, le silence rompu par une règle qui tombe ; de n’être plus seul, tambien, à réfléchir.
Je n’ai pas imposé de contrainte, cependant « Ce qui est écrit ne disparaît pas », ai-je dit. « Y a-t-il un instant de votre vie que, pour certaines raisons, vous jugez important, et que vous aimeriez transmettre ? » Pour moi, j’ai trouvé la réponse, c’est maintenant et ici, où je prends des demi-vacances. Je lirai, comme tout un chacun, à voix haute mon texte, et l’enverrai au Matricule afin, non seulement de présenter l’été, mais aussi de prouver la véracité de ce que j’avance, nos écrits sont impérissables.
Deuxième jour. À peine sommes-nous assis, à treize, donc, que je pète un câble. L’une des deux Martine s’est fendue du néologisme « esquiveuse ». Nous en discutons : une esquiveuse ne s’apeure, ni ne fuit, une esquiveuse opère un léger écart avant de revenir au combat, ou dans le jeu, mais par quel terme, moins dissonant, remplacer celui-là ? Je n’ai pas emporté d’outils : « le » Jouette, pour l’orthographe, le Bertaud du Chazaud pour les synonymes, le Robert historique de la langue française, pour habiter le terme. Et la bibliothèque ne les possède pas ! Gageons qu’après mon coup de sang, des dictionnaires rejoindront l’atelier. Déjà, un succédané de Jouette est apparu sur l’établi. Tout à l’heure, je citerai le prince Ypsilanti : « Seuls ceux qui savent qu’on ne doit pas manger le poisson avec un couteau ont le droit de manger le poisson avec un couteau. » Seuls ceux qui savent qu’on n’écrit pas esquiveuse ont le droit d’écrire esquiveuse.
Troisième jour : je crains que nous commencions à nous apprécier. Le stage construit un récit polyphonique où chaque personnage se révèle attachant, chaque narrateur, épris de la discrétion, de la demi-teinte, de la tolérance qui fondent les vertus. On y trouve une institutrice, fille de cultivatrice, qui a placé tant d’espoir dans le concours d’admission qu’elle en perd, les trois jours qu’il dure, la conscience ; un fils qui attend et redoute l’arrivée de son père inconnu, « Tu verras quand il reviendra, papa ! » Nous traversons l’Afghanistan dans les années soixante-dix pour rejoindre, en Inde, notre ami le maharadjah. Nous découvrons, stupéfaite, sur notre sein, la fille que nous avons enfantée. J’ignorais que le ventre, enfoui dans le sable, captait le battement de l’Océan.
On y voit un impétrant, à un autre concours, en vouloir à Victor Hugo pour de sérieux motifs ; un musicien de 12 ans, tenir pour la première fois l’archet au sein d’un orchestre d’adultes. J’ignorais également qu’une femme déclare son amour en appuyant un peu plus longuement sa joue contre la vôtre, lors d’un baiser convenable. Vivre laisse entendre son tintement délicat.
Huit kilomètres séparent Saint-Julien de sa plage, Contis. « Je veux revoir / parmi les pins / s’élever le phare de Contis » chantaient hier soir des étudiants, devant le restaurant des Seurrots. Les Seurrots sont un camping. Le restaurant, dont la terrasse est orientée vers le couchant, donne sur des piscines, un jacuzzi, une végétation semi-tropicale, le débouché d’un cours d’eau, le Courlis, qui, passé un pont rose, se jette dans l’Atlantique. On éprouve, toutes proportions gardées, mais pas tellement, le sentiment de luxe que procurent des palaces situés à proximité de beautés naturelles. Des ouvriers ne s’y trompent pas, qui voûtent instinctivement le dos, et baissent la voix, en posant le pied sur le plancher de bois exotique - on entre, on n’entre pas ? Entrez, faites (presque) comme chez vous, à un bungalow de là.
Dommage pour ceux qui croient que le paradis est dépeuplé. Et grâces soient rendues au propriétaire d’un site qu’il partage.
Il s’est formé à Contis - qu’on prononce « Cantis », quasi comme on chante - une sorte de noyau artistique, une de ces confréries passionnée de débattre, et portant des voiles de vives couleurs, qu’on voit aux lieux où souffle l’esprit. Celle-là s’est regroupée autour du cinéma. Betty encaisse les places depuis un café attenant. Rainer, le projectionniste, ne manque jamais d’introduire le film en soulignant son intérêt. Un festival international de courts métrages y achève l’été. Mais une belle image a échappé à l’écran : au petit matin, Rainer et Betty filant en riant sur des bicyclettes chargées d’un pique-nique. Des lauriers-roses, au passage, leur dessinent une auréole.
« Surtout, ne dites pas de bien de Contis ! » m’a-t-on répété là-bas, craignant que l’endroit soit envahi. Ce conseil émanait en majorité de surfeurs, or le surfeur caresse deux rêves : LA vague - quête infinie qui l’amène au bout du monde, un quinquagénaire m’avouera ne l’avoir jamais trouvée -, et être absolument seul dessus. Quelques maisons en haut de la dune permettent d’observer ce désert d’eau d’où l’amie viendra (à suivre).

Contis-plage Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°105 , juillet 2009.