La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Poésie Poison poétique

janvier 2010 | Le Matricule des Anges n°109 | par Richard Blin

Déplaçant la question de la réception du poétique, le Livre des poisons d’Antonio Gamoneda est bien plus qu’un voyage en pays vénéneux.

Comment mieux faire comprendre que « les genres ne sont rien d’autre que de la poésie diversement apprêtée » ? En en proposant l’illustration, suggère Antonio Gamoneda, l’une des voix majeures de la poésie espagnole. Fasciné par le Codex du grec Dioscure (1er siècle après J.-C.), une véritable bible de botanique et de médecine en six livres, Gamoneda a choisi dans le livre VI - « Sur les poisons mortifères et les bêtes sauvages qui crachent le venin » - un certain nombre d’extraits, eux-mêmes accompagnés de commentaires dus à Andrés Laguna, qui le traduisit en espagnol, en 1555. Cet ensemble, il l’a corrompu (« Corruption et fable du sixième livre de Dioscoride et Andrés Laguna » dit le sous-titre) par ses propres commentaires d’Espagnol actuel, et par des épisodes narratifs décrivant quelques-unes des sordides expériences sur les poisons, auxquelles se livrait Cratévas, le médecin personnel de Mithridate Eupator, dit Le Grand. Un roi dont la haine des Romains n’avait d’égal que son culte des poisons, un colosse capable de s’exprimer en 22 langues, régna cinquante-six ans et avait pour passion la connaissance et la cruauté. Absorbant par petites doses quotidiennes certaines substances vénéneuses, il se rendit insensible au poison - dont il avait fait l’auxiliaire des hautes et basses besognes de ses desseins politiques et domestiques. Un livre donc, à la beauté grimaçante et où l’amour de la fable se mêle aux éclats d’une polyphonie sauvage.
Objet poétique aussi improbable qu’infusé d’étrangeté, le Livre des poisons doit son titre à ce qu’il est d’abord un catalogue des substances qui « expédient promptement » ou qui « altèrent durablement la santé », qu’il s’agisse des plantes vénéneuses (celles qui, absorbées, « ne se transforment pas en louable aliment apte à réconforter les membres »), des minéraux mortifères ou des morsures de bêtes venimeuses ou enragées. Des signes manifestant l’empoisonnement - « vomissement écumeux », « empâtement des esprits cérébraux »…- - aux moyens d’y faire face, ce sont les protagonistes d’un infernal combat entre forces de vie et forces de mort que met en scène le Livre des poisons. Avec quelque chose d’intenable et de voluptueux dans l’énumération des remèdes ou des antidotes, comme frictionner l’empoisonné pour « égarer le poison », l’empêcher d’atteindre « les chambres du cœur et du cerveau », ou comme cette coutume des grands seigneurs qui, se sentant empoisonnés, faisaient fendre tout vif un mulet afin de s’y coucher et d’y suer tout le poison. Réfrènent aussi « l’acrimonie des poisons », la corne de licorne, la salamandre décapitée conservée dans le miel, les denrées onctueuses comme la cervelle de lapin, ou encore la fiente de poule. « Les poules étant dotées d’un naturel empirique qui les pousse à fuir jusqu’aux crachats d’un empoisonné, ce n’est sûrement pas sans bonne raison qu’on en administre la fiente »… On trouve même des remèdes pour soigner les buveurs de menstrues ou ceux qui auraient avalé des sangsues.
De cette sorte d’idylle ivre entre causes invisibles et effets tangibles, de ce théâtre de métamorphoses sur fond de vieux savoirs et de métaphysique bouffonne, c’est le noyau d’impossible ou d’innommable qui motive souvent la poésie, qui se donne à lire en filigrane. À travers le commerce cruel avec ce qui déchire et opacifie, c’est l’écart entre les mots et le monde ainsi que le cheminement secret du poison poétique qu’on suit. Un univers où la mélisse « jugule les imaginations oiseuses », où la colère devient une « ombre habitée de lumière », où l’oubli a son logis « dans la troisième cellule cérébrale ». Une habile façon de montrer combien la poésie fait affleurer l’insensé dans les savoirs et tient d’une « musique devant l’abîme ».

Livre des poisons d’Antonio Gamoneda
Traduit de l’espagnol par Jean-Yves Bériou et Martine Joulia, Actes Sud, 240 pages, 24

Poison poétique Par Richard Blin
Le Matricule des Anges n°109 , janvier 2010.
LMDA papier n°109
6,50 
LMDA PDF n°109
4,00