À la veille de la Première Guerre mondiale, deux siamois orphelins (l’un accroché à l’épaule de l’autre) sont enfermés, et bientôt oubliés au sous-sol d’un couvent ; ils y développeront une très forte aptitude à raconter des histoires, et, inventeurs de génie, concevront une machine à « communiquer leurs récits ». Ainsi ramassée à l’extrême, l’intrigue laisse craindre le pire, et notamment de nostalgiques sépias enrobés d’imaginaire neuneu. Il n’en est rien : en plus de trois cents planches qui privilégient trames à points et larges taches d’encre (une image par page, la plupart légendées), The Moo factory absorbe et ne cesse d’étonner son lecteur. Tout s’y mêle dans un très grand vertige narratif : des cataplasmes et de l’oxyde, des jumeaux aveugles et « dandy miniatures », des romans d’aventures, Le Journal des sciences, quelques lettres de Freud, un docteur érotomane, une « aberration » de fleur, une jeune fille pendue, des bombardements, un sarcophage de glace et une résurrection martiale n’en jetez plus, l’aventure est folle, étouffante, sans défaut. Il y entre du conte noir et de la physique extraordinaire, et l’on pense parfois à certaines mécaniques conçues autour de 1900 par Alfred Jarry ou Villiers de L’Isle-Adam ; on s’émerveille généralement de retrouver ici le génie des feuilletonistes, et que l’histoire de ces « travailleurs de l’ombre » soit dite dans une si belle et si généreuse prose. L’auteur semble d’ailleurs renouer avec la prolixité des romanciers du XIXe siècle : Igor-Alban Chevalier derrière le pseudonyme la Grenouille Noire a tout d’abord égrené l’histoire des siamois sur internet, en s’imposant comme contrainte de livrer dix planches par jour… Gloire enfin à la nouvelle structure d’édition Cfsl ink, qui rassemble ces images pour à peine plus de 10 €, dans un livre au format bible et à la poésie ensorcelante.
the moo factory
DE la grenouille noire
Cfsl ink, 10,90 €
Textes & images The Moo factory
janvier 2010 | Le Matricule des Anges n°109
| par
Gilles Magniont
Un livre
The Moo factory
Par
Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°109
, janvier 2010.