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Domaine étranger Dedans dehors

avril 2010 | Le Matricule des Anges n°112 | par Lucie Clair

En 1976, avec un petit livre au titre ludique (mais trompeur), Joyce Carol Oates dynamitait les frontières entre le Bien et le Mal.

Le Triomphe du singe araignée

Bobbie Gotteson a mal commencé sa vie - il fut abandonné, âgé de quelques heures, par sa mère dans un casier de consigne du « terminus d’autobus de Canal Street, New York, un endroit qui en vaut bien un autre ». Que cela puisse être égal, c’est ce dont Bobbie voudrait se convaincre - et par la même occasion les jurés auxquels il s’adresse, dans un soliloque entremêlé de scènes arrachées comme des lambeaux à sa mémoire confuse. De dialogue, jamais - car « le Taré » n’est pas accessible à l’autre - rien ne le rend perméable, sinon ses angoisses transformant le monde en un vaste cloaque qu’il lui faut purifier.
1971, en Californie. Le procès de Charles Manson, mandataire, deux ans plus tôt, de l’assassinat de Sharon Tate - enceinte de huit mois -, semblait clore un long carnage exécuté par les groupies du gourou. Mais, en 1975, l’une d’entre elles tente de tuer Gerald Ford, redonnant une actualité à l’une des personnalités qui a le plus marqué et horrifié les Américains. De cet être complexe, Joyce Carol Oates (née en 1938) s’est inspirée pour Le Triomphe du Singe-araignée, un court roman écrit au scalpel, inédit en français jusqu’à ce que Claro - remarquable - traduise cet ouvrage magistral et profondément dérangeant, qui ne laisse ni le lecteur, ni l’auteur intact. C’est que la dame de l’Ontario Review (prix Femina pour Les Chutes en 2005) offre ici, dans sa veine la plus gothique, une immersion complète dans la pensée de celui qui « peu(t) feindre la raison, comme vous. Comme tout le monde » et laisse imaginer ce que ce serait « de voir que Bobbie Gotteson a votre âge, la forme de votre corps, que son visage est le même que le vôtre, le tout fourré en vous et palpitant de vie.  »
Terriblement humain et pourtant Autre.
Celui qui parodiait l’album blanc des Beatles pour diffuser ses visions de luttes raciales, et avait fondé une communauté hippie sous emprise, qui parut à son procès le front gravé au couteau d’une croix gammée, le regard fou, était, comme Bobbie Gotteson, aussi un homme en quête de reconnaissance, artiste raté - ou exclu par le milieu - musicien à la guitare cassée, acteur snobé par Hollywood. Et un monstre, une icône, un nom, dont rien dans la vie n’avait changé depuis qu’il a été « mis au monde par un salopard en uniforme, indigné et stupéfié, devant une foule d’abord surprise puis furieuse et enfin déçue. » Un être instable, fragile et rusé, placé en familles d’accueil, violenté par ses compères ou ses médecins - cf. le portrait sans appel d’un dentiste tortionnaire au nom de la bonne conscience (et de la bourse) du contribuable américain. Terriblement humain et pourtant Autre - incompréhensible, inatteignable - et Oates se garde bien de fournir la moindre once d’empathie - on comprendra d’autant mieux que l’adaptation théâtrale de cette novella dans les années 1980 sous la forme d’un mini-opéra rock laissera l’auteur médusée.
C’est plutôt toute une mécanique, mêlant « le Dedans » et « le Dehors » des êtres, dedans la tête, la chair du « macaque » - celui qu’on moque -, le dehors de la santé mentale, de l’équilibre issu d’une parentèle identifiée, du monde qui s’ébat au-delà des murs des prisons en tout genre - ghettos, hôpital psychiatrique, maisons d’arrêt, underground hollywoodien gavé de drogues - et que la langue de Oates entreprend de déployer : polyphonie de la folie (furieuse), de la colère sourde, la rage de l’amour interdit, de la coexistence de la « haine » et de la « pitié », de leur contiguïté pour Gotteson, voix violentes, à vif, qui décapent et donnent des claques, retranscrites avec une extrême finesse pour atteindre les territoires interdits de l’obscurité de l’esprit, de sa confusion opaque et vertigineuse, tourbillonnante. Éprouvante.

Le Triomphe du singe-araignée de Joyce Carol Oates
Traduit de l’anglais (États-Unis) par Claro
Les Allusifs, 128 pages, 13

Dedans dehors Par Lucie Clair
Le Matricule des Anges n°112 , avril 2010.
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