À nous qui sommes faits de chair et de mots, qui aimons tout risquer sur des chimères, un instant ou un amour fou, ce livre - le dernier d’une trilogie commencée avec Une hache pour la mer gelée (2006), et continuée avec L’Effarant intérieur des ombres (2008) -, s’adresse. À nous qui nous demandons pourquoi les femmes nous obsèdent « avec leurs jambes / Leur nuque leurs épaules et les mouettes de leurs seins / Qui font monter la mer jusqu’à notre bouche » ; à nous qui errons dans les jardins de l’amour perdu, tournons « comme un vieux soleil » autour de ces corps qui nous ont fait trembler « comme une jupe / Qu’on soulève quand on a douze ans et qu’on ne voit rien », et qui continuons à vivre avec cet impossible espoir que rien ne finisse quand tout passe si vite, Alain Duault prête sa voix, la meute de ses émois et le phrasé sensuellement radieux de sa langue musicienne. Écriture de la jouissance, de l’errance orientée dans ce qui reste quand tout s’est effacé, ce qu’il déploie ici relève de la respiration du désir, de la danse lente des souvenirs, de l’incessante surprise de l’amour, de la sainte brûlure du beau et de la violence de l’éblouissement.
Car malgré le « rouge nu » de la mort, le monde trempé de sang, « la dernière heure qui nous guette », et la nécessité de résister au pire - « Il ne faut pas voir / La beauté dans les yeux des bêtes qui nous mangent les mains / Car il y a quelque part un jardin pourri qui attend d’être arrosé » -, il reste la poésie, l’ivresse qui délivre, la joie sauvage de « celle qui vient à pas légers », « enjambe les frissons / Se roule dans la sueur des consonnes », aime « l’o / de l’orage » et fait chanter le désir battant dans la grande voix du sang.
Le vent, le sable et la mer, la sève et les songes, c’est la pulsation obstinée de leur houle et de nos plus secrets désirs qu’Alain Duault nous donne à entendre. Sur fond de musique fauve, d’éclats de sons soulignant sens, extases ou dissonances, c’est la vocalité du corps dans la langue, et le luxe de l’œil en famine d’infini qu’il met à nu. Pour nous, et pour la beauté de « ce mystérieux frémissement des choses » qui est tout ce qui reste après l’oubli.
CE QUI RESTE APRES L’OUBLI
d’ALAIN DUAULT
Gallimard, 160 pages, 17,50 €
Poésie Ce qui reste après l’oubli
avril 2010 | Le Matricule des Anges n°112
| par
Richard Blin
Un livre
Ce qui reste après l’oubli
Par
Richard Blin
Le Matricule des Anges n°112
, avril 2010.