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Essais Créer, mais pourquoi ?

mai 2010 | Le Matricule des Anges n°113 | par Marta Krol

Subtil, vivant et engagé, l’ouvrage du philosophe Paul Audi invite à une exploration vagabonde ou continue.

Créer : Introduction à l’esthétisme

On ne peut que se dépêcher de conseiller la lecture de cet essai (dont une première mouture paraissait en 2005 chez Encre marine) comparable à un vaste et fertile continent. Paul Audi se propose de penser, en philosophe, l’acte de la création en des termes de l’éthique, autrement dit de poser des bases pour une théorie « esth/éthique » selon laquelle « l’esthétique ne prend toute sa valeur (…) que dans la perspective des conditions d’intensification de la vie subjective ». Si bien que la création se trouve finalement indexée sur la puissance : il s’agirait à travers l’acte de création - on reconnaît l’influence nietzschéenne aussitôt revendiquée - de « croître en puissance et accroître ainsi ses possibilités », et notamment, et précisément, de sur-vivre lorsque vivre s’avère intolérable.
Certes, on pourrait longuement deviser sur cette thèse. Mais on ne peut nier que la visée de l’ouvrage soit haute sinon périlleuse ; et que sa réalisation échappe à la pesanteur d’un argumentaire serré, et s’agence légèrement en mosaïque. Néanmoins, une unité s’en dégage, celle d’un attachement quasi passionnel de l’auteur à son sujet ; sujet porté par un style fluide, conférant au texte une large respiration. Ce qui n’est pas le dernier des exploits, étant entendu la masse du matériau conceptuel amené, et l’aisance de l’auteur à s’y mouvoir. L’ouvrage recèle quantité de problématiques différentes, extractibles et réutilisables à souhait, grâce à la complétude de l’illustration qui leur est réservée. Aussi retient-on la démonstration irréfutable par sa partialité de la supériorité absolue de la vie - sur quelque mode qu’elle ne se manifeste (jouissance, souffrance) - sur l’œuvre pure, exemplifiée par celle de Mallarmé. Ou bien, livre dans le livre, le chapitre sur l’illusion créatrice, médiation irriguée de concepts philosophiques tout autant que psychanalytiques appliqués au champ littéraire, spécialement à l’œuvre de Proust et de Romain Gary. Mais là non plus, ce n’est pas de Proust, ni de Gary, qu’il s’agit ; mais plutôt de s’en servir afin d’approcher l’intuition selon laquelle l’homme serait, ontologiquement, mû, au-delà des instanciations contingentes de son désir, par un désir de sortir de soi (qu’il souffre, torturé par exemple par sa jalousie, ou qu’il jouisse), et que ce désir est intrinsèquement insatisfait, à cause de l’autre conditionnement ontologique lequel est l’assujettissement à soi. C’est ce qui fonde l’économie du phantasme : sécrétion d’une imagination brûlée par un désir de croire en l’existence de ce qu’elle ne fait que projeter.
De l’éthique aux affects.
Sur un mode plus engagé, l’auteur procède à un réquisitoire contre le naturalisme dont notre époque « scientifique » se gargarise : « Ce qui discrédite le monde au regard de la raison critique n’est autre que son contenu lui-même et comme tel. Cela veut dire que c’est le contenu du monde, tout ce dont le monde est fait, tout ce qui fait du monde un monde, que l’on ne créditera plus de rien ; c’est au monde - jugé précisément immonde - que l’on retirera sa confiance ». Toujours sous le signe de notre époque, comment passer sous silence l’analyse si juste sur le peu de foi que nous accordons à notre monde, appuyée par des propos de Deleuze, ou, celui-ci, de Baudrillard : « Via l’électronique et la cybernétique, tous les désirs, tous les jeux d’identité et toutes les potentialités interactives y sont programmés et autoprogrammés. Que tout y soit d’emblée réalisé interdit l’émergence de quelque événement singulier ».
C’est en effet parce qu’il fournit des outils à la fois accessibles et efficaces pour penser notre expérience dans un univers particulièrement saturé - et rappelant utilement que l’homme n’est pas dans le monde comme une pierre est dans le monde -, que le livre de Paul Audi est important. Et le recours fréquent à la citation ne fait que consolider, par une sorte d’intersubjectivité prouvée, la justesse du trait. Ainsi retiendra-t-on, fort utile, cette parole de Cioran : « Ce que je dois aux livres destructeurs, négateurs, »acides« . Sans eux, je ne serais plus en vie. C’est par réaction contre leur poison, par résistance à leur force nocive, que je me suis affermi et que je me suis collé à l’être ».
Certainement, les esprits chagrins trouveront à redire sur la nature péremptoire et axiomatique de certaines affirmations pourtant discutables : « Tout créateur, dis-je, sait toujours très bien que s’il y a de sa part création (…), c’est pour des raisons non pas tant esthétiques qu’éthiques, ces raisons lui semblant toutes »vitales« , toutes liées à un profond »travail sur soi« , soit, pour le dire plus précisément, à cette pure explication avec la vie que donne à l’éthique sa seule et vraie définition. » Difficile de démontrer le « tout », le « toujours », le « sait », sans parler de « l’explication avec la vie »… Non fausses, non vraies, certaines propositions échappent au calcul logique en engageant les affects ; ce en quoi, nous avons là affaire à un acte de foi ardemment défendu, plutôt qu’à une équation conceptuelle. Et c’est tant mieux car, sachons-le : tout affect est une force, comme toute force est un affect.

Créer Introduction à l’esth/éthique
de Paul Audi, Verdier, 853 pages, 19,90

Créer, mais pourquoi ? Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°113 , mai 2010.
LMDA papier n°113
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