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juillet 2010 | Le Matricule des Anges n°115 | par Anthony Dufraisse

La suite de son journal, la fin de ses œuvres complètes en poésie, un récit autobiographique, Claude Michel Cluny présente trois de ses visages.

Il est temps de s’avouer que griffonner ces bouts de papier ne conduit à rien d’autre qu’à tenir un journal. Surtout, éviter de garder à l’esprit l’idée qu’il pourrait être publié. » Le risque qui guette tout diariste, Claude Michel Cluny l’auteur de ces lignes le sait, c’est de vouloir présenter à tout prix son meilleur profil à la postérité. À l’évidence, cette nouvelle livraison du journal, la huitième, se garde bien de ce travers ; déjà dans les volumes précédents on sentait chez ce romancier, critique, essayiste, poète une très forte volonté de sincérité, le refus, quoiqu’il en coûte, de tout travestissement. Cette prose journalière est trop soucieuse d’appeler chaque chose par son nom pour qu’elle puisse devenir une habitude stérile, ou pire, un masque ou une pose. Fidèle à lui-même, Cluny y affiche ce caractère qu’on commence maintenant à bien lui connaître, un tempérament à double tranchant, « mi-soie, mi-gant de crin ».
Le Passé nous attend couvre les années 1984-85. Collaborateur du Quotidien de Paris et de L’Express à cette époque, Claude Michel Cluny est alors un Parisien privilégié que les clans, chapelles et coteries n’intéressent guère. Les mille distractions dont la vie mondaine se compose ne lui ont jamais semblé une activité très palpitante. Misanthropie ? Goût viscéral de la solitude, plutôt. Rien ne lui est cher comme « la solitude, le dernier don qu’il nous faut préserver avec tant de soins et que la société nous abîme, nous la laissant rancie et puant la cendre froide ! ». Cette nature souverainement indépendante trouve dans les « modes et systèmes de références de l’époque » matière à gronder. Cluny ne se prive pas d’épingler tous ceux de ses contemporains qui, en politique ou en littérature, lui semblent des imposteurs, des « faux princes de l’esprit ». Les ténors de la « socialisterie » (Mitterrand en premier lieu) et les grands ducs de Saint-Germain-des-Prés se font moucher sèchement. Journal d’un Parisien, donc, mais aussi et surtout journal des lointains et des confins, écho de la rumeur du monde. Ces années-là ce sont, rappelons-le, des affrontements au Moyen-Orient (Liban, Iran, Israël) et, en France, une affaire retentissante (Rainbow Warrior). Claude Michel Cluny a traversé cette actualité en observateur avisé, considérant sous l’écume la force de la houle. La clairvoyance dont souvent il fait montre à propos des événements, Cluny la tient sans doute de ses activités nombreuses qui toutes à leur manière aiguisent son esprit critique. De cela et, bien sûr, de son goût du voyage, ce « besoin de l’ailleurs » qui ouvre toujours plus son horizon et lui donne des perspectives sur la situation internationale auxquelles d’autres, pantouflards, n’accèdent pas.
Possession et perte près de se confondre.
Les réflexions de ce spectateur attentif à l’Histoire en train de se faire alternent avec des notes plus intimes. Entre « les mouvements du cœur » et les « morsures du désir », ce journal nous fait partager un certain art de vivre, tourné autant qu’il se peut vers un hédonisme exigeant dans les grands comme dans les petits plaisirs, une façon d’être au temps qui laisse entrevoir une intériorité riche de suggestives beautés. Mais si fort que l’on aime la vie, quelque confiance que l’on ait en elle et quelque certitude sur l’avenir que vous donne votre passé, on n’échappe pas à la mélancolie du temps qui fuit, un mal qui rarement se laisse amadouer. Cluny éprouve cela plus que tout autre peut-être. Nous nous hâtons d’être heureux tant nous craignons de ne pouvoir l’être indéfiniment. Et « nous passons notre vie à tenter de ressaisir ce qui, un jour de plus en plus ancien, nous fit naître à nous-mêmes ». Cette note du 15 avril 1984 renseigne sur l’état d’esprit de Cluny dans ce journal. Elle pourrait aussi nous introduire à la lecture de Sous le signe de Mars, son « unique ouvrage autobiographique ». Dans une France en proie au Dieu de la guerre, on l’y retrouve (Cluny est né en 1930) adolescent se révélant à lui-même à travers une passion intense pour un jeune Allemand à peine plus âgé que lui, tankiste dans la Wehrmacht. « Je reçus ce choc (…) sans que je l’oublie jamais. L’Ennemi, mon Ennemi si beau et si douloureux, avait commencé de m’apprendre l’amour que l’on fait, et laissé pressentir celui que l’on donne ; un désir impossible me serrait le cœur lorsque nous nous séparâmes, et c’était de l’aimer ». Ce récit d’une « folie solaire de l’été 44 » révèle beaucoup de choses à qui veut connaître mieux cet écrivain. Cette expérience fondatrice enracine à jamais en lui l’idée que bonheur et déchirement, possession et perte sont toujours près de se confondre. L’œuvre poétique de Cluny nous ramène parfois à ce sentiment. Une œuvre inclassable. Tout en clair-obscur, multipliant thèmes et formes, résonances et souterrains, contrastes et accents, voix et rôles, elle porte comme un sacrement les reliques du temps, ce fil conducteur entre les âges, entre les hommes, entre les âges d’un homme. Le temps, oui, est bien la matière première d’une œuvre qui tente de retenir dans ses filets quelques « instants, (ces) atomes du vivre », avant que le passé définitivement ne les engouffre dans sa gueule béante.

Claude Michel Cluny Le Passé nous attend. Journal littéraire 1984-1985, 395 p., 23 , Sous le signe de Mars, 128 p., 7 , Œuvre poétique (vol. 2), 351 p., 35 , La Différence.

Passé composé Par Anthony Dufraisse
Le Matricule des Anges n°115 , juillet 2010.
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