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L'Anachronique Octobre est rouge comme la neige est blanche

octobre 2010 | Le Matricule des Anges n°117 | par Éric Holder

Octobre, mois des matins rouges. Octobre rouge. En 1917, à l’aube du 24, la Garde de même couleur, composée d’ouvriers en armes, occupe les ponts, les gares, les imprimeries, les postes télégraphiques. Le lendemain, à Saint-Pétersbourg, les révolutionnaires montent à l’assaut du palais d’Hiver, canonné par le croiseur Aurora. « A l’aube », « Aurora », « assaut du palais d’Hiver », pourquoi de tels événements s’incrustent-ils dans les mémoires, sinon qu’ils doublent, qu’ils prolongent à notre insu la poésie liée en nous à chaque saison ?
Si le soleil dure, et la douceur avec, aux alentours du 9, on évoquera « l’été de la Saint-Denis » – « l’été indien » depuis l’Amérique du Nord, celui « des sauvages » au Canada. Utilise-t-on aussi le terme de « peaux-rouges » là-bas ? Ici, les vignes deviendront pourpres, la vendange achevée ; cinabre, l’épine vinette ; opéra, le liquidambar ; Marlboro, l’amanite (tue-mouches).
Déjà dans la forêt des braises couvent. Sur les chemins, on croit entendre des pas derrière soi : personne. Une branche qui cède, une châtaigne tombée imposent le silence. Soudain, une pétarade de chasseurs. On guette la suite. Il n’y a plus que le grondement sourd, lointain, de l’Océan, ce mahoun que masquait, en juillet-août, la circulation sur les routes – à présent rendues aux hérissons, aux crapauds. Des gouttes perlent à la sortie de feuilles comme des mains en conque.
La lectrice, le lecteur du Matricule se souvient peut-être de cette librairie d’occase au milieu de nulle part, où son serviteur, au début des vacances, découvrait Arnothy et Slaughter, éconduisait les chats, n’ayant pour toute visite que celle d’édith, douze ans, la fille des voisins.
Un peu de monde s’est pointé, finalement. Le bouche à oreille, je suppose. Dès qu’un moteur s’éteignait sur le parking, je lissais la blouse que m’avait offerte Ingrid, la propriétaire, je vérifiais l’alignement des rayons, la propreté du sol lavé chaque jour, mais qu’une seule miette, dans ces conditions, suffit à déprécier. Enfin j’allais, le cœur battant, souhaiter la bienvenue – beaucoup de personnes, autrement, ne seraient pas entrées, s’attendant, au vu de la bâtisse entourée de sauvagerie, à tomber sur le loup digérant la grand-mère, sur Freddy ricanant en aiguisant ses griffes.
édith regardait avec une méfiance irritée s’avancer les nouveaux venus. Malgré ses yeux de faon rehaussés de collagène, sa grande bouche framboise mûre, ses bijoux tintinnabulants, elle avait le don de se rendre invisible et suivait les clients sans qu’ils s’en aperçoivent, son petit nez entre leurs omoplates. Elle craignait qu’ils dérobent des livres. J’avais beau lui expliquer que ces ouvrages ne coûtaient pas bien cher, ne rapportaient guère non plus, et qu’il y aurait une sorte de bon goût à en voler certains, elle persistait à monter la garde comme si les chalands et elle-même faisaient partie d’un monde dont j’étais, moi le naïf, exclu. Qui expliquera le mystère de la sûreté, de l’assurance inébranlable dont témoignent déjà les petites filles, lorsque des pères, des grands-pères se montrent encore, à leurs âges, hésitants, maladroits ?
Je compris sa peur d’être spoliée un soir que sa mère et deux de ses tantes, toutes les trois inquiètes, vinrent la chercher. Je les voyais par la fenêtre demeurer sur le seuil sans oser le franchir, en se tordant les mains. Elles portaient de longues jupes à volants, respectivement jaune, rose et verte. Des gitanes. Par ici d’où l’Espagne est proche, ceux qu’on appelle « Roms » se nomment « gitans » avec fierté, et les gitans ne possèdent pas grand-chose.
Un autre jour, le grillon du foyer m’avoue qu’il feint de lire, sur le canapé de l’arrière-boutique, et de n’emporter des volumes que par amitié. Le silence, l’inaction, constate Edith, détachent ses yeux de la ligne, l’amènent à sauter un paragraphe, bientôt l’entraînent vers des contrées où prospèrent de beaux garçons, la musique et la danse. Pour que des mots pénètrent, il faut qu’elle les dise à voix haute. C’est ainsi qu’elle poursuit sa maman, friande de romans policiers, dans ses tâches ménagères, déclamant du Robert Dailey. Qu’à cela ne tienne. Je lui fourre Henri Michaux dans les mains tandis que je polis le marbre du comptoir à la pâte flamande. L’enfant tonne de sa belle voix claire, où perce une pointe de gascon : Glas ! Glas ! Glas sur vous tous, néant sur les vivants !/Oui, je crois en Dieu ! Certes, il n’en sait rien !/Foi, semelle inusable pour qui n’avance pas. édith ne comprend rien, mais elle est bouleversée.
à mesure que la saison se consumait, je perdais ma timidité. J’avais été, au début, avec l’inexpérience, un bouquiniste circonspect et muet. J’entrais à présent dans la catégorie familière et bavarde, si le client s’y prêtait. Nous finissions dans le jardin adjacent, assis sur des chaises longues, à échanger nos enthousiasmes en buvant des cafés. En ce cas, la petite gipsy, enragée de ne pas suivre, dépassée par nos concordances, trépignait. Deux ou trois fois, elle est venue m’annoncer que de nouveaux visiteurs arrivaient. à peine le temps de bouger qu’ils étaient « repartis ».
Les camps volants ne tiennent pas longtemps en place, par définition. Il y a eu la rentrée des classes. Ses parents déménageaient. La dernière fois qu’elle m’a rempli la vue, édith apportait un plein carton de Bibliothèque rose, à vendre. Manière de dire au libraire qu’elle quittait l’enfance.
J’ouvre à 10 heures, le matin. Les estafilades sanglantes tailladées dans le ciel ont disparu. Voilà une semaine qu’il n’est passé personne. Pourquoi n’ai-je pas de photo ? Alors j’imagine la tête qu’elle ferait dessus, c’est comme si j’en avais une. Je repasse en boucle Jules Laforgue : Puis rien ne saurait faire/Que mon spleen ne chemine/Sous les pluies insulaires/Des petites pluies fines…

Octobre est rouge comme la neige est blanche Par Éric Holder
Le Matricule des Anges n°117 , octobre 2010.
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