A mi-chemin de Raymond Carver et de Philip K Dick, si bien entendu il est possible de réaliser ce grand écart entre le minimaliste et le science-fictionniste déjanté, on pourrait imaginer de trouver Vonnegut nouvelliste. Certes, il est moins connu que ses monstres ennemis, mais les nouvelles de cet Américain, né en 1922 et disparu en 2007, ont quelque chose de sérieux et de loufoque à la fois. Tout un petit peuple de paumés et de dérangés « va sortir » et s’emparer, malgré leur condition pitoyable, durablement de la mémoire du lecteur. Derrière l’écran de fumée de la légèreté, la noirceur apparaît. L’inventeur du « confido », boîte amie qui converse avec nos pensées, se voit dépassé par sa créature, qui a su révéler notre pathétique solitude : « c’est directement connecté à ce qu’il y a de pire en nous ». Un « fubar », chef de service du « bordel » ambiant, reçoit une nouvelle secrétaire qui dévaste son désert érotique et existentiel. Un couple a pour enfant un livre déstabilisateur… Parfois, l’on glisse jusqu’à la satire politique. De la chronique urbaine et policière à « l’élimination des habitudes indésirables, des peurs irraisonnées » par un hypnotiseur, l’ironie s’en donne à cœur joie pour se moquer des mœurs des contemporains de toujours (comme dans Barbe bleue, autobiographie fictive que l’on réédite conjointement). D’une fantastique « Salle des miroirs » en passant par de minuscules extraterrestres surgis d’un drôle de coupe-papier, ou une civilisation de « fourmis pétrifiées » aux livres microscopiques et au génocide étrangement humain, genres et registres se télescopent. Mêmes inégales, ces quatorze nouvelles inédites venues des années cinquante se démarquent par la précision de l’écriture : être l’un des maîtres littéraires de la contre-culture américaine n’empêche en rien la concision, l’efficacité narrative avec juste ce qu’il faut de rhétorique, le grand art dans un format modeste…
Thierry Guinhut
Le Petit oiseau va sortir
Kurt Vonnegut
Traduit de l’anglais (états-Unis) par Christophe Mercier
Grasset, 382 pages, 20 €
Domaine étranger Le Petit oiseau va sortir
mars 2011 | Le Matricule des Anges n°121
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°121
, mars 2011.