Les nouvelles de Richard Lange (Dead Boys vient d’être repris en poche chez 10/18) nous avaient mis l’eau à la bouche. Comparé à Raymond Carver et Denis Johnson, l’auteur parvenait à ciseler des textes secs et noirs pour saisir sur le vif les âmes déchirées des losers au pays du rêve hollywoodien. Avec son premier roman, Lange ne quitte pas cet univers du Los Angeles de la glande, des petits bars miteux, des appartements pourris et de tous les paumés pathétiques, et parfois dangereux, qui y naviguent. Jimmy Boone ne fait pas encore partie de cette « meute », mais n’en est pas loin : « soyons réalistes : il n’est qu’un ancien détenu qui vit chichement de pourboires et de charité, un homme qui a gâché toutes les chances qu’on lui a données, dont la vie semble aller à rebours plutôt que de l’avant ». Ancien marine, ancien garde du corps, barman encore sous le coup d’une conditionnelle, il fait aussi le gardien de sa résidence de bungalows et accompagne le videur, Robo, pour des boulots de détective privé au black. C’est un de ces petits services qui va l’entraîner dans une sale histoire. Oscar Rosales, un clandestin guatémaltèque, a été retrouvé mort dans un bus. Il n’a pas survécu à une infection consécutive à de multiples morsures. à la demande de la famille, Boone va tenter de retracer le parcours de cet homme et élucider son décès. Son enquête l’amène dans les quartiers les plus glauques de L.A., tel celui qui fut autrefois surnommé « les Champs-Elysées de Los Angeles », laissé à l’abandon par la municipalité, envahi par toute une faune de déclassés, d’immigrants pauvres d’Amérique centrale, de dealers et de gangs : « il reste une minute à regarder un homme et une femme se disputer devant la banque (…) accros au speed, tous les deux, des épouvantails au visage décharné, quasi absents dans leurs vêtements trop larges ».
On suivra en parallèle l’histoire de l’un de ces marginaux, Virgil, un jeune qui se shoote avec tout ce qu’il trouve, et dont le chemin croisera celui de Boone. Ce dernier, alors qu’il est dans l’impasse, va, par l’intermédiaire d’un pittbull salement amoché (on lui a arraché toutes les dents), retrouver l’employeur de Rosales. Il s’agit d’un certain Taggert, qui a la réputation d’être un coriace : « On ne peut pas raisonner avec un type comme ça. On peut seulement le tuer ou le suivre. » Ce truand trafique dans tous les registres – filière de clandestins latinos, drogues, braquages, escroquerie, extorsions… – et organise chez lui, dans une baraque perdue au milieu du désert californien, de sanglants combats de chiens (« Un affrontement au terme duquel la combativité (…) a souvent raison de la force brute ». ). Boone se rue dans la gueule du loup et se retrouve aux prises avec Taggert, ses hommes de main et ses chiens enragés, mais aussi avec sa compagne Olivia et le frère de celle-ci, Virgil, lesquels vont essayer de le manipuler à leur profit. Mais Boone, « même si toute cette histoire pue les emmerdes, continuera à avancer jusqu’à foncer tête la première dans un mur ».
Si Lange maîtrise parfaitement les dialogues, a l’art de la formule, il laisse une petite déception poindre quand il s’attarde un peu trop sur la psychologie ou le comportement de certains personnages pour justifier leur destin. Ainsi de Boone et sa classique quête de rédemption comme moteur de la poursuite de son enquête, sa rencontre amoureuse avec Amy qui est bien sûr un ancien flic, ou bien l’enfance forcément difficile d’Olivia qui explique son parcours chaotique, ou encore le couple de « chiens méchants » qu’elle forme avec son frère Virgil, venant en écho des combats de chiens du roman. Mais outre ces quelques réserves, Ce monde cruel est un roman noir solide, qui tient en haleine, est efficace dans sa description des bas-fonds de L.A. et celle d’un monde où le mensonge est roi : « Les gens passent leur temps à faire l’éloge de la vérité, mais la vérité (et tout le monde le sait), c’est que le monde tourne grâce aux petits mensonges innocents. »
Lionel Destremau
Ce monde cruel
Richard Lange
Traduit de l’américain par Cécile Deniard
Albin Michel, « Terres d’Amérique », 352 pages, 23 €
Domaine étranger Les âmes perdues
avril 2011 | Le Matricule des Anges n°122
| par
Lionel Destremau
A Los Angeles, selon Richard Lange, les hommes sont plus cruels que des chiens.
Un livre
Les âmes perdues
Par
Lionel Destremau
Le Matricule des Anges n°122
, avril 2011.