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Choses vues What bridge ?

juin 2011 | Le Matricule des Anges n°124 | par Dominique Fabre

Ils ont cassé le pont au-dessus de la porte de Vitry. Bien sûr il ne servait plus à rien, sinon imaginer des trains qui ne roulent plus dans un peu de verdure, mais justement. Ce doit être pour agrandir à cause des travaux du tramway, faut-il resserrer encore plus la petite ceinture ? Chaque matin je regarde nos sales têtes de citoyens dans le bus PC2 pour trouver quelqu’un qui partagerait le même moche pressentiment, concernant le chemin de fer pour les trains qui ne passent pas, dans la verdure. Mais bon, la faute à la fatigue, aux journaux gratuits, aux mots fléchés, personne ne paraît se soucier. Si je prends celui qui ne passe jamais plus tard que 7 h 21 je tombe sur la jolie femme aux mèches blondes et rousses qui marche comme sur une piste de danse lorsque, après dix minutes de temps mort jusqu’à la porte de Charenton, elle descend les marches de la station du métro. Maintenant sans le vouloir nous suivons une sorte de rituel : le premier qui voit l’autre lui fait un grand sourire, et en général, on en finit là. Une fois nous nous sommes retournés l’un vers l’autre dans le métro et nous avons cherché la caméra par-dessus notre épaule. On attendait les ordres du metteur en scène, mais bon, il n’y avait pas de film dans cette caméra, en fait il n’y avait même pas de caméra, et dans le fond, pourquoi faudrait-il en faire un film ?

Scène 1 : le métro est arrivé. Elle prend la direction de Créteil, moi la direction opposée. Argument : on cherche toujours des yeux la femme d’à côté de sa vie, on ne sait même pas pourquoi. Flash-back : la dernière fois on a un peu conversé car exactement toutes les poches de son sac à main rouge étaient ouvertes, son téléphone était en train de se faire la malle. Elle a bien ri, c’était vraiment exagéré pour si tôt le matin. On en est toujours au début à 7 heures du matin. Nous nous serons beaucoup croisés. Rien à voir : détruire le pont de Vitry est une énorme erreur ! Du coup ça fait comme encore un gros bateau les nouveaux bâtiments de ce côté-ci de la petite ceinture. On nous met des grands paquebots pleins d’argent et de sociétés anonymes, un peu comme le cancer géant de Sarkoland dans les Hauts-de-Seine. Un jour, à défaut de reconnaître quoi que ce soit, nous finirons par emprunter des trains qui n’existent plus qu’en rêve, et nous ne croiserons plus jamais aucune femme aux mèches rousses et blondes qui descend comme une Cendrillon du matin les marches du métro à la porte de Charenton. Plus personne ne sera au courant des horaires de ce train. Moi je m’en foutrai pas mal car je serai bel et bien mort, alors tant pis. On ne peut même pas accuser l’Ump ce coup-ci, tandis que, de New York à Poitiers, en Porsche comme en Vélib’, de reviens vite en partez tous, ils se préparent à gauche avec conscience à nous reperdre les élections. Ça vous met de mauvaise humeur, ces choses-là.

Ce n’est pas étonnant que les gens parlent surtout aux trottoirs, dorénavant. Une magnifique explication illustrée sur le trottoir porte d’Ivry, entre la « vie prémortelle », la « vie terrestre » et la « vie éternelle », on voyait en rouge et bleu le chemin du salut. Craies de couleur. C’était pas mal dessiné par les fidèles de l’église des premiers saints des derniers jours, légendé en français, en chinois et en anglais. Vu le beau temps la fiche technique du sens de l’existence dans le quartier a tenu une journée entière, et en allant chercher le pain, le jour suivant, la zone du paradis était encore visible ! C’est la compétition féroce des saluts dans le coin de la porte d’Ivry. Les Témoins de Jéhovah, les adventistes, les bouddhistes et les catholiques psalmodiaient tous dans le même coin. Des Greenpeace en habit vert tentaient quand même de se faire remarquer, mais ils semblent moins aguerris. Comment pourra-t-on vivre quand on ne croira vraiment à rien ? Est-ce que ça nous sera interdit ? Des gens, sinon, cherchent aussi le chemin le plus simple du Best Western de la rue Regnault, un hôtel dont le H a disparu, en jaune, et, au café Pourpre, les touristes déplient leur plan pour visiter Paris.

Quand j’arrive au bahut, certains mômes sont parfois très en avance, assis sur le trottoir devant, ils me font un petit sourire, l’air soulagé, comme s’ils avaient passé la nuit dehors mais en fait non, bien sûr que non. Certains auront rêvé d’une nuit dehors peut-être bien ? Puis ils sont là, devant vous, et quand ils posent la tête sur leur bureau à huit heures le matin ils sont enfin rassurés, du coup ils peuvent vraiment rêver jusqu’à neuf heures au moins. Un jour, n’empêche, nous serons tous loin d’ici et Paris aura pour toujours fini de changer, probablement. Who the fuck cares anyway ? But I do care ! Don’t you love me no more baby ?… Le soir, à la station des Olympiades, les jeunes gens de la fac de Tolbiac ne se soucient pas non plus de la mort du pont de la porte de Vitry. It’s another woman baby ? No, it’s the bridge. The bridge ? What bridge ? They knocked down my bridge à la porte d’Ivry !

Mon voisin le jardinier en a trop marre. Il faudrait déjà arroser ! Vrai : ses deux citernes sont pleines, il a une arrivée d’eau juste à côté de la grille du jardin. Mais on est en mai, il trouve que c’est beaucoup trop tôt ! L’autre jour je le vois qui sort d’Italie 2 avec une boîte de chaussures neuves et deux jours après, il est assis par terre, pieds nus, ses Adidas bleues toutes neuves à côté de lui, complètement découragé par tout son travail à faire. Ça le serre trop, il fait chaud, ses roses ont piqué du nez. Je vais jamais y arriver, il m’a dit. J’allais lui répondre une ânerie encourageante quand j’ai vu ses orteils. Ils n’avaient pas l’air d’y croire eux non plus. Fatigué de la tête aux pieds. Du coup j’ai marmonné bonsoir à plus et caetera, je suis rentré chez moi comme un voleur. Ensuite, j’ai attendu la nuit. La nuit, j’ai attendu de prendre mon bus de 7 h 21. Ensuite, j’ai attendu le soir. Je suis passé sur son trottoir, il avait remis ses vieilles godasses. Il n’avait toujours rien arrosé.

Dominique Fabre

What bridge ? Par Dominique Fabre
Le Matricule des Anges n°124 , juin 2011.
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