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Domaine étranger À tire-d’aile

juin 2013 | Le Matricule des Anges n°144 | par Chloé Brendlé

Entre le merveilleux et la franche folie, le premier recueil de la prometteuse Samanta Schweblin.

Des oiseaux plein la bouche

Moineau en toast dans assiette blanche sur fond noir. La couverture de Des oiseaux plein la bouche donne l’avant-goût du talentueux recueil de nouvelles d’une nouvelle venue d’Argentine. On sait combien l’ombre de Borges et de Cortázar plane sur ce genre, et combien il est difficile pour un nouvelliste de s’imposer en France, pays de pavés et de lecteurs de pavés. Le lecteur qui s’aventurera sur les terres de Samanta Schweblin ne risque pourtant pas d’oublier le paysage, happé qu’il sera dans un tourbillon d’images aussi puissantes que saugrenues : un aubergiste nain déboussolé, des fiancées abandonnées comme des chiots au bord d’une route de campagne, des chiens tués comme des voyous par un apprenti caïd, des têtes de Coréens contre l’asphalte, une femme dans une valise, un homme dans le canon d’un cirque, des moineaux dans la bouche d’une ado dont le père se dit qu’après tout, c’est toujours mieux que de se droguer, une amande sur la langue, une gare mortifère comme les bras d’une mère. Noires, noires, noires, visions de terreurs et de délices, qui s’estompent, se délitent, que l’on n’est pas bien sûrs d’avoir vraiment lues. Le terrier sans fond d’une Alice au pays des adultes.
Certaines nouvelles de Des oiseaux plein la bouche semblent encore imparfaites, inachevées, comme des ébauches d’un cauchemar à venir, certaines, comme celle qui donne son titre au livre, ou « Le Père Noël dort à la maison », et « La lourde valise de Benavides », qui raconte comment le cadavre d’une femme massacrée par son mari devient, au grand dam de celui-ci, le clou d’un vernissage artistique, louchent du côté de ce maître de l’humour noir qu’est Roald Dahl. Que l’on se souvienne d’un de ses récits les plus célèbres où une femme fait manger au policier venu enquêter sur la disparition de son mari le gigot-massue fait maison qui a servi à envoyer celui-ci ad patres. Moins déjantées mais tout aussi grinçantes, les nouvelles de Samanta Schweblin sont précises, implacables, sans atermoiements ni remords d’écriture, et grattent des petites plaies de la conscience du lecteur dont celui-ci ne soupçonnait pas même l’existence.
Tandis que l’auteur nous mène sans détour d’un point à un autre, les personnages se perdent et perdent leur âme dans des restaurants routiers surgis de nulle part, dans le flou d’une steppe, dans l’arrière-zone portuaire de Buenos Aires, des hangars ou des appartements anonymes. Ces lieux de l’entre-deux où l’on arrive par hasard et repart (si l’on repart) en prenant les jambes à son cou, dessinent les frontières d’un monde à mi-chemin entre le banal et le bizarre.
Le récit qui ouvre le recueil, « Irman », et dans lequel deux personnages en quête de rafraîchissements et de casse-croûte se retrouvent à molester un aubergiste nain apathique et geignard, n’est pas sans rappeler l’univers ultra-réaliste et brutalement malsain du dramaturge « de la menace », Harold Pinter. Un autre, « Dans la steppe », évoque irrésistiblement la nouvelle « Bestiaire » de Cortázar (l’écrivain argentin y inventait l’histoire d’une famille qui s’impose de rigoureux horaires et changements de pièces dans sa vaste maison en fonction des déplacements d’un tigre). Dans le récit de Samanta Schweblin, un couple mène d’étranges et précautionneuses expéditions à la recherche d’un monstre sans nom, avant de s’extasier et de tenter d’apercevoir celui sur lequel leurs lointains et inopinés voisins ont mis la main. Nombre de nouvelles hésitent entre le merveilleux et le fantastique, la franche folie et l’irrémédiable pas de côté. C’est justement cette hésitation et ces multiples variations de tonalités qui font de Des oiseaux dans la bouche un recueil singulier, malin et saisissant. La poésie et la cruauté qui s’en dégagent ne sont pas les moindres de ses effets.

Chloé Brendlé

Des oiseaux plein la bouche
Samanta Schweblin
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Isabelle Gugnon
Seuil, 236 pages, 20

À tire-d’aile Par Chloé Brendlé
Le Matricule des Anges n°144 , juin 2013.
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