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Arts et lettres Attendre voir

juillet 2013 | Le Matricule des Anges n°145 | par Marta Krol

Issu d’un humble retour à soi et d’un élan vers le dehors, le travail d’Alexandre Hollan se confond à la vraie vie fragilement retrouvée par la peinture.

Je suis ce que je vois, notes sur la peinture et le dessin (2006-2011)

Un bref escalier de bois poli nous conduit depuis les pavés de Mouffetard à un couloir sombre. Une porte se laisse repérer grâce à un de morceau de papier sur quoi on a marqué : HOLLAN. L’impression d’arriver à une cachette, que la recherche de « vastitude » du peintre qui habite là n’annonçait guère. Alexandre Hollan est bien celui dont les tableaux et les dessins, accompagnés d’écrits, ne cessent depuis des dizaines d’années de remuer dans le grand air du Midi, de prodiguer lumière et mouvement, plongeant le spectateur dans un espace vivant. Chênes, d’abord ; chacune des expositions redit la passion de l’artiste pour l’arbre solitaire qui bouge et qui dure. Puis, les justement nommées « vies silencieuses », le terme français de nature morte convenant mal à ces co-présences anhistoriques qui émergent depuis le tableau, enveloppant de ses accords doux et vibrants. À Paris, l’artiste préférerait presque, en effet, se cacher. C’est ici qu’il en arrive à « oublier la grandeur du presque rien ». Mais la vastitude, on la retrouve : dans le regard, lorsque plus tard nous évoquons longuement l’acte de peindre, ce moment où il lui est enfin possible de vivre. Car telle semble être toujours la question, pour cet homme né en Hongrie en 1933, et qui depuis plus de cinquante ans va et vient entre Paris et la source, dans l’Hérault.
Les choses sont « si complexes » que nous les devinons graves, réalisant une forme d’indécence à aborder ainsi cet homme au visage clair à propos de ce qui fait juste le sens de sa vie, et le cœur de sa lutte quotidienne. Devant cette inconnue qui lui a téléphoné hier et arrive bardée de livres, papiers et dictaphone, devant l’inévitable platitude de l’écrit qui viendra décharner la parole de son timbre, de son souffle et de ses silences, comment dire ?

Silencieux théâtre de passions et de pulsion.

Je suis ce que je vois, la troisième tranche de notes sur la peinture et le dessin couvrant la période 2006-2011, fait suite ces jours-ci à celles de 1997 puis de 2006, ajoutant à une série de publications dont La Journée d’Alexandre Hollan (1995) d’Yves Bonnefoy, et L’Arbre au-delà des images (2003) signé Bonnefoy-Hollan ; ainsi que des contributions à l’univers poétique d’un Luis Mizón, Jacques Ancet, Philippe Jaccottet et bien d’autres. Dans un dénuement du langage qui parvient presque à montrer son propos non réductible, le livre touche, une nouvelle fois, au désir d’un peu de vie, d’« une vie encore disponible et précieuse ». C’est une vie secrète et patiente, « une intense absence », à quoi il convient de ne pas faire l’erreur d’ajouter de l’intensité « qui n’est que violence inconsciente ». Une passivité est son milieu, une attente détachée, « il y a une vie qui va peut-être venir » mais il lui faut laisser une place. Là se joue le moment clé d’un passage fugace, paradoxalement tenant d’une pratique et d’un lâchage : la « lourde tâche d’inexister ». À l’opposé de l’abondance informelle d’un journal, les mots sont ici comptés et pesés, le silence est préféré à l’approximation, et la justesse n’a pas besoin d’éloquence. Une note avance cette phrase en son abrupte nudité : « Quelque chose existe ». Ou encore : « Il y a quelque chose. Je ne peux pas le comprendre ».
Pari ontologique s’il en est, celui de certains (!) peintres ou poètes, ceux qui cherchent à voir. Voir l’arbre, pour celui-ci, c’est entrer avec lui dans une dynamique d’empathie du corps, comprendre son rythme, son équilibre, sa manière de bouger. Voir conduit, sinon consiste tant les deux semblent coextensifs, à « trouver la force pour dessiner », peindre, écrire. Le processus de la création se rejoue ainsi immuable et neuf en sa nature réciproque : si une chose du monde est créditée d’être, elle permet (sinon oblige) d’y répondre de sa propre existence. C’est-à-dire de la peindre, la décrire, la représenter telle qu’elle se révèle ; et ce faisant, « avoir la preuve que j’existe ».
Une dialectique subtile se met ainsi en place entre le dedans et le dehors : « Puisque l’inconnu n’est plus dehors (dans la nature par exemple), sa découverte dépend de notre capacité de retour à nous-mêmes ». Néanmoins, c’est bien dans un élan vers l’extérieur que l’artiste se découvre, au point, glisse-t-il, de croire quelquefois vivre d’abord dehors pour pouvoir vivre dedans ; depuis le motif, c’est sa propre vie, sa propre perception qui lui font signe.
Les commencements sont souvent ingrats. La hantise de ne pas voir. Pourtant, devant un arbre, au bout d’une minute ou deux, Alexandre Hollan commence quand même à dessiner. « Celui qui travaille est sans force, sans projet. (…) C’est par le dessin que la force apparaîtra ». Une petite branche. Une autre. Les relier. Travail long et fatigant, avoue-t-il, d’investissement de petites sensations locales, jusqu’au moment où tout ce qui a pu ainsi être « donné » dans un arbre non vu, pas vraiment vu, « me revient ». C’est dans de tels moments de l’échange qu’une charge que l’écrit ignore porte la voix de l’artiste. Comme si la réponse, poursuit-il, venait par une vie plus globale, par une sorte d’un « monde relationnel qui se développe », dans une sensation du « grand mouvement unificateur » de l’arbre, à quoi il prend part.
En effet, le premier volume des carnets marquait une grande tension vers la forme, vers « la vie » qu’elle recèle, « l’amour » qu’elle inspire, « la compréhension » qu’elle requiert. Et la forme, qui habite l’espace, est pour Alexandre Hollan une affaire de sensation, ce qui « connaît de l’intérieur ». La sensation lui est presque une sorte de « substance » – mais le mot est tombé hésitant – qu’il s’agit de laisser descendre en soi, de la laisser peser de tout son poids dans le corps, « comme elle veut ». Jusqu’à ce qu’elle se densifie, qu’elle prenne forme. Elle peut alors porter le trait, le faire circuler. Sans hausser le ton ni accumuler du verbe, Hollan décrit un état singulier de violence : la sensation de la forme s’éprouve dans le corps, le sang accélère sous la pression, la main appuie toujours davantage jusqu’à briser le fusain, le trait prend de la force, les forces de l’arbre s’incarnent, le dessin se fait intense et noir…
On l’observe sur les illustrations des carnets, soigneusement choisies par l’auteur. Tout comme cette « autre matérialité du monde » que le peintre aborde à présent, faite d’une vastitude, d’une légèreté, d’une forme d’énergie qui traverse la densité des formes. Cette plus grande fluidité de la matière, ce « monde plus fin » venant, pense-t-il, de la lumière, veut un regard qui ne fixe pas, elle ne peut être scrutée. C’est encore une sensation qui peut capter son courant frémissant ; le fusain se met alors à glisser, il survole le dessin, « le corps doit rester très sobre », la main appuie à peine, le trait est aérien, voile et souffle.
Silencieux théâtre de passions et de pulsions, qui sous-tend cet art de se mouvoir dans le monde du dessin. Et Alexandre Hollan de s’interroger à voix haute si « cet arbre existe vraiment pour vous ou pour quelqu’un d’autre, ou est-ce que c’est ma manière de projeter ma… (silence) ma vie, autour de moi ? N’est-ce pas une sorte de jeu ? » Oui, jeu certainement, jeu qui structure notre être au monde, celui où les remous informes d’Eros et de Tanatos au plus profond de soi-même, que seule une mince frange de la conscience entrevoit et repousse, se laissent un instant extirper et couler dans une forme perçue. Chercher à saisir celle-ci dans une œuvre, ouvre (heureuse assonance) peut-être à une réappropriation de soi ? « Tout cela se passe en moi », constate notre hôte ; nous voulons bien le croire, et songeons à la phrase d’Helene Schjerfbeck, peintre morte en 1946 ayant mené une vie austère dans un triste bourg finlandais entre ses mère, sœur et docteur : « Ma vie fut une tempête. C’est une chose que personne ne pourra croire ».
Nous avons eu la chance d’assister à un début d’installation d’une vie silencieuse. C’est là une autre rencontre, patiemment bâtie pendant des heures. Au fond d’un compotier creusé dans du bois, trois pommes flétries, une vieille orange, deux noix. Alexandre Hollan se penche dessus, retire l’une des pommes, déplace une noix. S’arrête, décale l’orange, regarde un bon moment. « Cette pomme pourrie et celle-ci, et cette noix, ont quelque chose, ensemble. Indiscutablement ça résonne ici ». Montre l’orange : « Et ça résonne là. Il y a un… chemin, une relation, ici. Comment le rendre formellement ? » Il réfléchit. « Est-ce que cette pomme doit rester là ? » La retire, regarde, la remet. Oui, elle en fait partie, mais il ne faut pas la décaler de trop. Sinon, « quelque chose disparaît, la vie disparaît ». L’homme observe, concentré, comment les choses se cherchent, il construit son monde. Et de murmurer, l’air de rien, ce propos inouï : « Ce n’est pas une nature morte, c’est une nature qui vit en elle-même dans ses relations intérieures… Ce n’est plus une pomme, c’est un nouvel ordre qui n’existait pas dans le monde jusqu’à aujourd’hui. »
Le vacarme du marché nous parvient assourdi. Une clarté flotte dans la pièce pendant que notre hôte évoque la lumière de Matisse ou de Signac. S’il est vrai que « l’arbre convient mieux au corps », la vie silencieuse avec la couleur répond à « la nostalgie de quelque chose de très profond, qui doit être… éclairé ». Les mots de nostalgie, manque et perte échappent une ou deux fois sous la plume. Lorsqu’il cherche à peindre, Alexandre Hollan connaît ces états-là ; mais « c’est du non-verbal ». L’œuvre tient lieu de la confidence ou de la plainte et atteint à une plénitude que le langage ignore. Déjà Alexandre Hollan trouve-t-il fatigants les « problèmes psychologiques » des autres, et inutiles des éclairages sur l’enfance de Giacometti, ou sur les significations des objets de Morandi. « La couleur c’est quelque chose qui est en moi, quelque part dans ma profondeur, et qui cherche à émerger. »À la faveur d’une image intériorisée de ce « creux dans lequel se passe une rencontre entre deux bosses », tout à coup un rayonnement particulier finit par apparaître dans une peinture, presque inattendu, « presque autre chose que je cherchais ». Impossible à reproduire, évanescent sous les mots, c’est là un « monde inconnu jusqu’à la fin ». Monde rejoint pour avoir osé, lentement et sans angoisse, « s’enfoncer dans les ténèbres ». Le coup de sonnette à la porte paraît brutal. Heureusement, il y a les tableaux.

Marta Krol

Je suis ce que je vois (3)
Notes sur la peinture et dessin 2006-2011

Alexandre Hollan
Le Temps qu’il fait, 126 pages, 14

Attendre voir Par Marta Krol
Le Matricule des Anges n°145 , juillet 2013.
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