Pasolini, clair-obscur
- Présentation Une révolution mélancolique une révolution mélancolique
- Autre papier Un homme dans la ville
- Autre papier Arrêts sur images
- Entretien Mécanique du désir
- Autre papier « Nous sommes tous en danger »
- Autre papier Belle mort
- Autre papier Pour Pasolini pirate
- Autre papier Milano centrale
- Autre papier Constat de Pasolini sur les périls du temps
- Autre papier L’Italie en procès
- Bibliographie Bibliographie sélective
Tout le monde sait comment est mort Pasolini : atrocement assassiné sur une plage. La doxa veut que ce meurtre ait été politique. C’est peut-être vrai. M’inquiète seulement le moralisme de la doxa qui a l’air de trouver tellement plus digne de mourir pour des raisons politiques que sous les coups d’un prostitué, mettons d’un garçon voulant se venger sur son client de la honte qu’il éprouve à se prostituer. Je ne sais pas ce qu’il en fut mais je me souviens d’un vers de Pasolini : « le sentiment / de la mort, devenu rut en moi » (Sonnet 14 du Dada du Sonnet). Je trouve infiniment plus beau d’imaginer Pasolini assassiné par son désir, plutôt qu’au nom de simples considérations politiques. Je trouve que c’est une belle mort pour lui, au sens de juste mort – au sens de mort qui est le sens de la vie : de mort héroïque : au sens d’une mort qui est le rut lui-même. C’est peut-être une pensée obscène, mais c’est la sorte d’obscénité que Pasolini m’a apprise. Lorsqu’il affirme qu’en Mai 68, le devoir était de soutenir les flics – les vrais prolétaires – et pas les étudiants ; quand il dénonce l’avortement ; quand au nom de son désir désormais empêché pour ces corps pauvres, il se plaint de la modernisation des campagnes et de l’amélioration des conditions de vie du prolétariat des banlieues, Pasolini est obscène. Quand il dit : « je me donnais du mal pour toucher le cœur / désespéré de ce pauvre petit fasciste » (sonnet 105) – un pute en fait qu’il est en train de lever en voiture – il fait parler son désir avant tout, rien ne le recouvre, rien ne recouvre l’érection que lui donne la réalité, qu’il veut que la réalité lui donne, toujours et sans cesse. C’est la grande leçon obscène de Pasolini : l’érection est le gouvernail de vivre ; il n’y a pas d’autre maître à bord que le désir, c’est-à-dire la vie en son principe. C’est, je crois, une règle d’existence à suivre, obscène donc en ce qu’elle abolit magnifiquement toutes les morales : e morirei dalla voglia di farlo : sonnet 68 : et je mourrai du désir de le faire.
Stéphane Bouquet
> Dernier livre publié :
Les Amours suivants (Champ Vallon)