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Traduction Mireille Gansel

octobre 2013 | Le Matricule des Anges n°147

Invitation à une tasse de thé au jasmin, de Reiner Kunze

Invitation à une tasse de thé au jasmin

entrez, déposez votre
tristesse, ici
vous avez le droit de vous taire



Invitation : j’aime placer ces quelques lignes sous le signe de l’hospitalité car elle a accompagné tous mes chemins de traduction depuis cette hospitalité inaugurale du poète Reiner Kunze – c’était au lendemain de l’écrasement du Printemps de Prague – je découvrais Sensible wege – chemins sensibles, un recueil de Reiner Kunze, qui venait de paraître en Allemagne de l’Ouest, aux éditions Rowohlt – le poète habitait en Allemagne de l’Est où il était interdit de publication – devant ces poèmes écrits au vif de l’Histoire, j’ai senti comme un appel irrésistible à les « traduire » : je veux dire : faire entendre dans ma langue ce que ces mots me disaient si fort dans leur étrangeté et à la fois leur extrême familiarité – et j’ai eu l’irrépressible intuition que je devais me mettre en route et partir à la rencontre du poète pour saisir le poids de vie dans chacun de ses vers, et l’entendre les lire et les habiter de son souffle – et mon intuition fut juste car par sa manière d’articuler à l’infime des mots c’est comme si Reiner Kunze se retirait pour laisser résonner quelque chose que l’on n’avait pas perçu. Avec Elisabeth, il m’a accueillie dans leur modeste logement de cette petite ville située non loin de la frontière tchèque, où il vivait et écrivait, banni, exclu de toute vie littéraire et culturelle, traqué et surveillé par la Stasi – le poète m’a ouvert la maison de sa poésie.
Invitation  : oui, c’est bien ici un livre de l’hospitalité – composé par Reiner Kunze lui-même – invitation à une traversée de sa vie et de ses chemins de poète tissés du même fil – un livre composé comme une Suite  : « Viens faire renaître au violoncelle la Suite / et avec la Suite ce qui s’est perdu en nous / d’humanité » où monte le chant de toutes ses ferveurs et sources vives : l’amour d’Elisabeth – et l’ hospitalité du cœur – et la nature, à la fois émerveillement, vigilance inquiète, refuge ultime : « l’étang est ma table quand plus aucune table ne me retient » ( in L’étang est ma table, Calligrammes)
Oui, un même tissage où court le fil rouge d’une liberté et d’une part de rêve inaliénable sur ces chemins de l’apiculteur transhumant qui « arpente la courbe du ciel / et se met en route / vers ces lointains essaims brillants » (in Nuit des tilleuls, Calligrammes)
Cette invitation à une tasse de thé au jasmin  : suprême hospitalité : offrir à l’autre, à l’étranger, un espace de confiance où déposer ce qui pèse trop et ne pas être obligé de parler – hospitalité encore plus précieuse si on la mesure à l’aune des années où ces vers furent écrits : années de la délation, de l’isolement, où tout est suspect : la parole et le mutisme.
En 1977, Reiner et Elisabeth Kunze durent quitter leur pays, l’Allemagne de l’Est. Depuis, ils habitent près de Passau – la table de travail du poète ouvre sur les courbes du Danube, une table nue, comme une main ouverte – et sur l’autre pan du mur, toute une bibliothèque de dictionnaires les plus spécialisés de la langue allemande, dont les dizaines de volumes du dictionnaire des frères Grimm… trouver le mot exact pour des poèmes « résistants déjà dans la langue… » (in La Nasse d’étoiles – dialogue pour surmonter l’exil – Mireille Gansel/Reiner Kunze, Calligrammes) –
et dès lors, traduire ses poèmes, ce fut travailler au plus près d’une exigence, d’une sobriété (au sens brechtien de « Nüch-ternheit ») qui ne laisse place à aucune ambiguïté, aucune ambivalence, ainsi de ces variations sur le thème de la poste (in Invitation à une tasse de thé au jasmin), écrites dans la nuit noire de la censure de la moindre lettre…
Muriel Feuillet a admirablement réalisé la dimension irremplaçable, qu’un échange avec le poète donnerait à sa traduction – connaissant son œuvre depuis de longues années, elle savait le lien de Reiner Kunze avec la nature, lien comme poète, comme jardinier et grand connaisseur des arbres, aussi est-elle partie travailler avec lui emportant dans sa voiture un gleditsia : « Ce qui m’a tout d’abord fascinée mais aussi déroutée dans mon travail de traductrice ? L’extrême concision et précision de la langue poétique de Reiner Kunze, mais aussi l’absence de majuscules aux noms communs (en allemand les noms communs prennent une majuscule) et de ponctuation. Pris dans leur sens commun, les mots désorientent quand le poète les revêt exceptionnellement d’une majuscule. Dans ce poème “Der vogel Schmerz : L’oiseau Douleur”, il en résulte un surcroît de sens : “Schmerz- Douleur” devient un nom propre, le nom de l’oiseau, et jette son ombre sur tout le poème. Ainsi également du poids de la moindre et rare virgule qui, par exemple, soulignera une césure, scandera le rythme de l’appel à la prière du muezzin dans le ciel de Jérusalem. Traduire Kunze est un acte grave, essentiel, fondateur, qui engage. Dans la même démarche de rigueur que l’auteur, le traducteur reconnaît et voit et traduit pas à pas, comme le joaillier travaille une pierre. De là naît l’enchantement. »
« Traduire la poésie // Peser sur la balance de l’orfèvre / et ce faisant ne pas retenir son cœur // suivre le poète même là où le vers reste obscur // en répondre sur sa tête ».

Grand traducteur du poète de Moravie Jan Skácel, Reiner Kunze aura donné à la langue allemande cette merveilleuse image : für alle die im herzen barfuss sind - pour tous ceux qui sont pied nu dans leur cœur - (rosniček rosných Jan Skácel)
image qui nous parle dans une langue au-delà de toutes les langues.

Mireille Gansel a traduit notamment l’œuvre poétique de Nelly Sachs et sa correspondance avec Paul Celan. Invitation à une tasse de thé au jasmin (co-traduit avec Muriel Feuillet) vient de paraître chez Cheyne éditeur.

Mireille Gansel
Le Matricule des Anges n°147 , octobre 2013.
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