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Les mains dans la lutte Y****

janvier 2014 | Le Matricule des Anges n°149 | par Charles Robinson

Elle dit : « Oh, regarde, comme il est joli ! » Mais elle ne parle pas de son fils, elle parle du cow-boy en plastique qui adresse à ses compagnons de la vitrine son meilleur et unique sourire. Car à son âge, les cow-boys ne dévalent pas les rues en dégommant des Mexicains poussiéreux, ils n’ont même pas de revolver, juste un chapeau à large bord.
Le garçonnet n’entend pas vraiment. Il est préoccupé. La crêpe est chaude, et ça c’est agréable vu la bruine et le vent. Mais la crêpe n’est pas ton amie quand elle a été tartinée de miel liquide.
Le garçonnet regarde la paume de sa main, là où le miel a encore une fois coulé, alors qu’il avait déjà enlevé une goutte avec son doigt. Comment expliquer à sa mère qu’elle a acheté une crêpe défectueuse ?
Ensuite la crêpe s’avachit, elle se renverse sur le dos de sa main, et un visage vient s’ajouter au désastre. Le visage aux traits durs d’un garçon plus vieux que lui. Cheveux gras, mèches teigneuses, pas de bonnet ni de cagoule, traces noires sur la joue, un visage acéré, un visage qui dit : Si tu continues à gâcher comme ça je te la prends.
Le garçonnet ramène la crêpe sur son anorak, et vient compléter les traces de miel déjà nombreuses. Il tient contre son thorax la crêpe affaissée et fait face au garçon. Il essaye de garder son équilibre, malgré le lourd anorak, il recule d’un pas. Ses parents se photographient avec leurs smartphones, sourires de stars, dans la lumière néon avantageuse des vitrines. Paris, c’est New York + l’accès direct en RER.
La scène et la bascule se jouent à rien. C’est toujours comme ça, l’instinct. Pour se saisir de la crêpe, il lui suffirait de pousser fort le garçonnet et de la ramasser par terre.
Mais non. Le garçon au visage acéré fait demi-tour.
Le garçon slalome entre les touristes et s’approche de la fin du trottoir.
Le garçon ouvre une porte en verre.
Une politique sociale innovante a su tirer parti d’un mobilier urbain en voie de désuétude en transformant les cabines téléphoniques en jardin d’enfant hautement customisable.
Le garçon sort de son blouson une bouteille de soda et la dépose dans la cabine. Les deux mouflets qui jouent là n’y font pas attention. Ils continuent leur jeu. C’est un jeu très ancien dont les règles ont peu varié : il y a un loup, alors il faut courir et crier.
Les mouflets courent sur place, heurtent les parois, dérapent dans l’enchevêtrement des couvertures empilées. Quand l’un d’eux s’étale, le loup marque des points. Si le loup gagne, il mange un enfant.
Le garçonnet s’approche de la cabine. Perte du contact visuel avec ses parents. Option : pleurs possibles.
Dans la cabine, il y a une valise, des vêtements pour personnes de différentes tailles, un sac poubelle rempli de nourriture. Le garçonnet ne voit pas l’assiette devant lui, ni la plaque de carton avec son message standardisé. De toute façon, il ne sait pas lire. Il est à l’âge où les cow-boys n’ont même pas de cheval.
Visage plaqué contre la paroi de verre, il reconnaît très bien le jeu. Il y joue aussi. Les mouflets se rapprochent et lui font des grimaces. La plus petite se touche les fesses en ricanant. Option : injures possibles.
Il en a déjà vu auparavant. Sous la table. Derrière un canapé. Avec deux bancs rapprochés. Dans une tente. Ça ne fait aucun doute pour lui. C’est une Maison. Tandis que celle du magasin, avec les guirlandes et la neige, il n’y croyait pas du tout.
Il maintient écrasée la crêpe contre le verre.
Une femme jette une pièce dans l’assiette.
Elle dit : « Quand je vois des enfants, je peux pas m’empêcher de donner. Les adultes, ça va, mais les enfants c’est vraiment trop triste. C’est dégueulasse, ils le savent, c’est pour ça qu’ils les mettent là. »
Il a les mains dans la lutte. Des doigts grassouillets tâchés de sucre. On ne sait pas ce qu’il va en faire, si désormais il prendra le parti des Indiens dans les embuscades, ou s’il n’aura que des potes tuniques bleues, s’il dessinera au feutre des peintures de guerre sur le visage de plastique de ses cow-boys, s’il dira : Quand je serai grand je veux être un Apache, s’il apprendra des chants de guerre tribaux et les clamera avec ses potes bariolés, ou s’il laissera la lutte se mener sans lui et en guise de couleurs se passionnera pour les écharpes et les coques de téléphone portable, s’il répondra « pompier » à la grande question lasso : Qu’est-ce que tu veux faire plus tard ? On ne sait pas s’il se souviendra de la robe des fillettes ou des traits acérés du garçon, ou des couvertures, ou du sac poubelle qui sert de glacière, ou si tout ça glissera avec le prochain bain. On sait juste que c’est là, le duel, et qu’avec ses doigts plein de miel il ne peut pas dégainer.

Y**** Par Charles Robinson
Le Matricule des Anges n°149 , janvier 2014.
LMDA PDF n°149
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