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Domaine étranger Caves de l’histoire

avril 2015 | Le Matricule des Anges n°162 | par Thierry Guinhut

Entre polar baroque et veine fantastique, Vilnius poker est le roman terrifiant de la conscience balte.

Venu des tréfonds de l’Europe, voici un opus sombre, inquiétant, monstrueux. En un mot : fascinant. Il émane d’« au-delà des barbelés » du goulag, ravivant le passé de la Lituanie, entre chape de plomb soviétique et indépendance rêvée. En autant de parties, quatre voix effectuent cette descente aux Enfers littéraire, se débattent à la recherche d’une liberté impossible : Vytautas, l’ex-prisonnier, au sexe de « bête couvert de cicatrices », Martynas, auteur d’un « Extrait des marmoires », la blonde Stefania, enfin la « Vox canina » d’un étrange chien philosophe.
Vytautas Vargalys, qui est peut-être le double de son auteur, n’est-il qu’un narrateur paranoïaque ? Dans un immense et labyrinthique monologue intérieur, seulement parfois coupé de dialogues, il exhibe sa personnalité trouble, ses errances dans Vilnius, la capitale lituanienne, sa brève passion pour une « Circé des carrefours ». Épié, pense-t-il, par une « organisation fantomatique », il se fait embaucher par la bibliothèque, parmi les « informaticiens sans ordinateurs », chargés d’un catalogue absurde et inaccessible, mais pour « mener [son] enquête clandestine ». Qui sont-ils ? Tous ceux qui, au cours de l’Histoire, ont incendié des livres. Ils ont pour « but de kanuk’er les gens, de les priver de leur cerveau et de leur résolution ». À moins qu’ils soient l’allégorie du communisme qui vampirise la Lituanie, « des suppôts de Satan – tous ces Staline, Hitler, Pol Pot  »… Au cours de cette quête des entités malfaisantes qui menace la raison de Vytautas, seule la jeune, séduisante – et presque nabokovienne – Lolita paraît lumineuse (il aime « le jazz de ses paroles »), si elle n’est pas un leurre dangereux. Elle participe à la tension érotique, parfois obscène, en aimant ceux qui sont marqués « par les glyphes du malheur ». En effet, l’anti-héros ne poursuivra son errance que jusqu’à son arrestation, sa disparition, probablement dans les « caves du KGB ».
Suite à la confession tourmentée de Vytautas, qui remplit les deux tiers du volume, les témoins présentent leur version du drame. Son collègue Martynas est un penseur, un bavard. Cerné par le « Pouvoir Exécutif des Grabataires », il aiguise son réquisitoire contre Vytautas : ce dernier est bien l’assassin de Lolita. Stefania, la « fille de la campagne », au contraire, le disculpe. Quant à celui qui s’est réincarné en chien, il pense qu’elle « portait le parfum du suicide  ». Sous les feux sombres de ces trois projecteurs mentaux, Vytautas reste un mystère urbain, une conscience politique brisée, un trou noir métaphysique. Quant à Vilnius, elle est également un personnage polymorphe, hallucinatoire, menteur, rusé, dont Vytautas est « la clé du code ».
En ce roman touffu, profus, crépusculaire, dépourvu des balises que seraient de plus précis chapitres, l’atmosphère sourde, vibrionnante de menaces réelles et fantastiques, est évidemment une transfiguration, sur le plan du fantasme, de la tyrannie totalitaire opposée à la conscience de l’artiste. À la lisière du roman policier baroque et du réalisme magique, l’écrivain agit sur le lecteur comme un Kafka qui aurait gonflé, pourri de l’intérieur, comme un Borges qui aurait joué au poker avec les poupées vaudou de ses personnages…
On comprend alors pourquoi, malgré la compacité proliférante du roman, Vilnius Poker fut reçu à sa sortie en 1989 comme un incendie littéraire, rallumant les noirceurs de la traumatique occupation soviétique dans les pays Baltes, comme une catharsis sans pitié et nécessaire. Soudain Ricardas Gavelis (1950-2002) comble un vide dont nous ne savions rien, affame une curiosité nouvellement née pour son théâtre, ses nouvelles, ses romans aux titres toujours anglophones, comme The Last Generation of People on Earth. Trop tôt disparu, il hante les bibliothèques de l’angoisse et de l’appel de la liberté créatrice.

Thierry Guinhut

Vilnius poker
Ricardas Gavelis
Traduit du lituanien par Margarita Le Borgne
Monsieur Toussaint Louverture, 544 pages, 24

Caves de l’histoire Par Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°162 , avril 2015.
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