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Stratagèmes Météores iguane, hamacs, bruté de Loirelle, gran Dio, Sindhupalchok

juin 2015 | Le Matricule des Anges n°164 | par Pierre Senges

1. Robert Burton, rebaptisé Démocrite Junior, déplorait ceci vers 1621 : « Chaque jour m’apporte des nouvelles fraîches, & ces rumeurs habituelles de guerres, d’épidémies, d’incendies, d’inondations, de vols, de meurtres, de massacres, de météores » – ajoutant (les catastrophes n’arrivent jamais seules) : « Chaque jour nos oreilles sont frappées par une immense confusion de vœux, souhaits, actions, édits, pétitions (…1). De nouveaux livres tous les jours, pamphlets, gazettes, histoires, catalogues entiers de livres » – la complicité maléfique des météores et des livres imprimés à la chaîne étant une vieille tradition.

2. Quatre siècles plus tard, les nouvelles sont toujours fraîches et les rumeurs toujours habituelles : le printemps de cette année bourgeonne avec peine, et déjà on pourrait établir un catalogue à la Démocrite Jr. digne du XVIIe siècle tonitruant : un massacre d’écoliers à Peshawar, diverses fusillades au Danemark, un massacre d’étudiants à Garissa, la précipitation d’un airbus par un mélancolique (ils n’ont pas disparu), diverses noyades dans les eaux déjà bien remplies de la Méditerranée, un tremblement de terre suivi de cinquante répliques et d’une mousson régulière promettant de pleuvoir par-dessus dix mille cadavres – et comme si ça ne suffisait pas, trois volcans en éruption, dans une habile orchestration, l’un d’eux (aux Galápagos) menaçant une espèce d’iguane2.

3. D’un pur point de vue statistique (ou probabiliste3), la plupart des massacres et des météores étant épuisés (comme événements et sujets de conversation), les mois qui viennent devront être mois de prospérité et de paix languide, de hamac et de cessez-le-feu : on va voir ressortir du placard les joueurs de flûte traversière en hibernation depuis la fin des années 1970.

4. Giorgio Manganelli assure prendre un air peiné chaque fois qu’il apprend la mort par écrabouillement de cent cinquante enfants, à l’heure du goûter. Il aurait pu prendre cet air peiné le 1er novembre 1755 (ou le lendemain), après le fameux tremblement de terre de Lisbonne : catastrophe qui a escamoté plusieurs êtres vivants et suscité un bon nombre de pamphlets (ce qui aurait assommé Burton). Berthold Rohrer écrit à ce sujet en 1933 : « Toutes les questions et événements d’actualité trouvent une expression poétique. Toute occasion est saisie, qui semble, de quelque façon que ce soit, appropriée pour attirer l’attention du public ou pour gagner un protecteur » (signe que Berthold était insensible à la sincérité des poètes bouleversés). Selon un catalogue établi par un connaisseur, Lisbonne effondrée a inspiré en France, dès le 13 décembre, une Ode in Lisbonense excidium, par un certain Bruté de Loirelle, docteur en Sorbonne ; une autre Ode sur la ruine de Lisbonne, signée Ponce-Denis Écouchard Lebrun, en 1756 ; encore une Ode, de Nicolas-Thomas Barthe cette fois4 ; une fable (pour changer) par Jean-Louis Aubert, publiée en juillet 1756 ; et une tragédie par Maître André, perruquier5.

5. L’essentiel n’est évidemment pas là (les odelettes, les fabliaux), mais dans la grande et grave polémique philosophique qui s’ensuit, à laquelle participent (chacun selon son style) Voltaire et son dentier, Rousseau et ses fleurettes, Leibniz par procuration, d’Holbach, Kant à son tour, le fantôme de Pope, celui de Shaftesbury, et le spectre de lord Bolingbroke – la question étant de savoir si oui ou non les cadavres lisboètes aplatis remettent en question la bonté de Dieu, la joie de vivre et l’optimisme leibnizien. On connaît les vieux débats : Voltaire trépignant se moque des optimistes, il va même jusqu’à prononcer la sentence apocryphe : « la Providence l’a dans le cul » – quant à Rousseau, il estime « parfaitement juste qu’un certain nombre de gens soient tués de temps à autre6. »

6. En 1755, quelque temps avant les odes de Ponce-Denis Écouchard, Giacomo Casanova trouve le moyen d’éviter de choisir entre optimisme leibnizo-rousseauiste et pessimisme d’holbacho-voltairien. Le premier novembre, jour du tremblement de terre, il est détenu sous les Plombs de Venise, sans beaucoup d’espoir d’en sortir : il voit les plafonds trembler, il se réjouit d’avance7, mais trouve la secousse faiblarde : « Je n’ai pas pu m’empêcher de prononcer ces mots : un altra, un altra gran Dio, ma più forte. »

7. Gran Dio a fini par l’entendre, deux siècles et demi plus tard, au Népal, faisant s’écrouler la prison de Sindhupalchok, libérant du même coup deux cents prisonniers, dont un vieux Pakistanais enfermé là-dedans par erreur (ou pour le plaisir d’un tyranneau local) : quelque chose comme une réplique tardive.

1 Il a fallu couper dans L’Anatomie de la mélancolie.
2 On ne précise pas laquelle ; on reconnaît là toute l’humilité de l’iguane.
3 Voir Condorcet : Eléments du calcul des probabilités, et son application aux jeux de hasard, à la loterie, et aux jugements des hommes, Paris, An XII.
4 « Où l’on remarque du génie malgré quelques défauts », selon un critique de l’époque.
5 En vérité Jean-Henri Marchand, avocat.
6 C’est ainsi en tout cas que le résume Bertrand Russell.
7 Il était coutumier du fait.

Météores iguane, hamacs, bruté de Loirelle, gran Dio, Sindhupalchok Par Pierre Senges
Le Matricule des Anges n°164 , juin 2015.
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