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Domaine français Sainte Famille II

juin 2015 | Le Matricule des Anges n°164 | par Valérie Nigdélian

Après Bas monde, Patrick Varetz poursuit avec Petite vie sa réinvention d’une enfance obscure et violentée : une réflexion trouble sur le pouvoir et la liberté.

La petite chose informe et grinçante dont Bas monde (2012) narrait l’improbable et atroce venue au monde a grandi. L’enfant a désormais une dizaine d’années, mais autour de lui rien n’a changé. Le foyer n’a pas gagné en douceur, loin s’en faut, mais s’est enkysté en un cloaque infernal, une tragédie inlassablement jouée par Violette, sa « folle de mère », et Daniel, son « pauvre salaud de père ». Des cris, des coups, qui s’agencent en des leitmotive ritualisés, en une mécanique éprouvée. Sans toutefois que leur retour quotidien ne réussisse à les réduire au rang de la banalité : on ne s’habitue pas à la terreur. Mais on lui donne au contraire, en grandissant, de multiples visages, on lui découvre de nouveaux terreaux d’où fleurir. Violence donc, mais aussi vertige ontologique qui étreint le petit garçon dont les « orteils n’atteignent pas – n’atteindront jamais – l’extrémité du lit » face à l’immensité sans limite de l’univers, qui rend ses « piètres proportions » d’autant plus insignifiantes. Gifle cinglante des choses du sexe quand l’enfant, vissé au fond de son lit, assiste tétanisé à la longue scène primitive – qui est aussi la scène augurale du roman – qui se déroule dans la chambre parentale voisine : l’occasion pour chacun d’éprouver son petit pouvoir sur l’autre et de perturber les identités établies du bourreau et de la victime. Découverte définitive du règne éternel des mères, coupables de nous avoir « jetés là », barrant froidement à leurs « tout petit(s) mari(s) » le chemin de retour vers un giron consolateur. Et ce constat : « Nous demeurons si petits, malgré nos efforts, si maladroits surtout. »
L’enfant grandit. Mais il demeure en une sorte d’absence, « témoin muet et quasi paralysé » face au spectacle que, jour après jour, ses parents s’acharnent à lui donner. Impuissant et « indétectable », littéralement traversé par des corps qui s’agitent sans le voir. N’acquérant un semblant de réalité que sous les coups et les humiliations. Mais néanmoins capable de pressentir, de deviner, d’analyser ce qui se joue ici des destins perdus de ses supposés géniteurs. Ce qui frappait dans Bas monde – cette capacité de Varetz à faire du nourrisson le narrateur de l’horreur familiale – frappe encore ici, dans le décalage entre la puissance du Verbe de l’enfant et l’absence totale de maîtrise à laquelle le réduit son statut et son histoire.
Dans ce monde étroit et ces vies qui « se résume(nt) à si peu de chose », l’ailleurs ne transparaît qu’à travers l’écran de la télévision, où défilent les images des barricades de 68. Mais l’écran n’ouvre à rien : « On peut bien – ailleurs – se rassembler et défiler dans les rues pour y hurler des revendications de classe : tout cela ne sert à rien. Il n’est pas dit que l’on puisse bouleverser l’ordre du monde à ce point que les pères – tyranniques – cessent d’engendrer des fils. (…) Rien ne changera jamais. » Comme la rue pourtant, l’enfant s’ébroue furieusement, dans une espèce de gesticulation corporelle incontrôlée : « Enfermé pendant des heures, je cours sans m’arrêter » – marcher, dévaler, franchir, traverser, s’enfoncer, s’accrocher, bousculer. Mais comme la rue encore, il renonce à la tentation de la liberté pour réintégrer lui aussi sa « petite vie » : « Sans eux, sans leur inconcevable propension au malheur, je ne suis rien. » Les dernières pages du roman, d’une lumière noire, dessinent un contrepoint inquiétant à cet acquiescement à la servitude. Autour du cerisier du jardin familial, dans les champs de blé et les trous, quatre enfants sauvages éprouvent leurs corps, sales et écorchés. Jouent avec leur sexe. Mêlent leur salive. Et, singeant les adultes, réinventent les règles oppressantes du jeu de la domination – façon comme une autre, enfin, d’exister. Serait-ce cela, le bonheur ?

Valérie Nigdélian-Fabre

Petite vie
Patrick Varetz
P.O.L, 192 pages, 15

Sainte Famille II Par Valérie Nigdélian
Le Matricule des Anges n°164 , juin 2015.
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