Les Gardiens de Bibliopolis : Cent soixante portraits pour servir à l’histoire de la bibliophilie
La mode du portrait étant définitivement inscrite dans l’histoire éditoriale de notre début de millénaire, il est rassurant qu’un bibliophile se soit penché sur le cas de ses confrères d’autrefois afin de leur donner en les rassemblant un semblant d’unité doctrinale et une perspective commune. Ils ont tous en effet, ces cent soixante personnages nés entre 1553 (Jacques De Thou) et 1862 (Edouard Rahir), lutté contre un courant violent, le temps, pour que des pages imprimées fassent bloc – bibliothèque – et se perpétuent dans cette configuration le plus longtemps possible. Certains y ont bien réussi, d’autres moins, comme ce marchand peu éduqué, Eustache Bonnemet (1699-1771) qui n’aimait pas les éditions « princesse » (pour princeps). La bibliophilie, comme toutes les disciplines à tendance muséographique, comporte des usages, des spécialités, des incongruités et des morceaux de bravoure, comme ceux du franc-maçon Charles Cousin (1822-1894), autoproclamé « Le Toqué », dont Octave Uzanne (1851-1931), le théoricien de la bibliophilie moderne et de luxe disait : « Le Toqué est bibliophile, iconophile, isophile, gynophile, chromotypophile, démesurément polyphile ; il est encore gastrolâtre et adéphagique, cynégétique, hypergénétique et arthritique à la fois. » C’est dire…
Depuis la bibliophilie « de montre » – qui sert à souligner le pouvoir social du détenteur des ouvrages – jusqu’à la bibliopathie (à lier), une chose est sûre : la discipline n’est pas féminine. Tout juste deux ou trois bergères comme la duchesse de Berry ou la comtesse de Verrue dans ce champ de loups plus ou moins dentus, parfois bien cacochymes, souvent éloquents dans leur obsession cumulative.
Éric Dussert
LES GARDIENS DE BIBLIOPOLIS
DE JEAN-PAUL FONTAINE
Préface de Yann Sordet, L’Hexaèdre éditeur, 640 pages, 42 €