Je suis l’étranger : Reportages, suivis de documents sur l’affaire Victor Serge
L’espèce d’état d’urgence permanent qui anima les esprits les plus alertes et alertés de l’entre-deux-guerres eut pour conséquence l’invention d’un journalisme engagé. Une plume puissante pour rendre compte d’un regard aiguisé, c’est bien ce qui caractérise un Albert Londres ou un Joseph Kessel. Autre nouveauté, des femmes également s’en mêlèrent : André Viollis, enquêtant sur la jeune URSS ou dénonçant les horreurs de l’Indochine française, ou Magdeleine Paz (1889-1973). Anne Matthieu, comme elle l’a déjà fait naguère, par exemple, pour nous offrir les Articles littéraires et politiques de Paul Nizan, nous permet de (re)découvrir cette figure emblématique de cette forme de journalisme. Une copieuse présentation et des notes précises accompagnent un choix d’articles représentatif des préoccupations et du talent de Magdeleine Paz. Une partie est consacrée aux articles et documents qui ont trait à l’affaire Victor Serge : nous la voyons se battre pour que le révolutionnaire de la première heure que fut Serge puisse échapper au piège stalinien qui se refermait sur l’opposant qu’il était peu à peu devenu. L’autre partie, la plus fournie, rassemble des reportages qui correspondent à cette citation choisie pour titre : « Je suis l’étranger ». Paz y enquête, avec une objectivité qui n’exclut pas l’empathie, d’une part, sur les « problèmes coloniaux » (au Maroc essentiellement) et, d’autre part, sur ce qu’elle nomme (et c’est bien entendu une antiphrase ironique et grave à la fois) la « France, terre d’asile ». Là-bas règnent la faim, les inégalités scandaleuses, l’humiliation réservée aux indigènes, ici se débattent aussi bien les travailleurs que l’on est allé recruter sur cette autre rive de la Méditerranée, alors française, que les milliers d’exilés chassés par la misère ou le fascisme. Nous les suivons, ces réfugiés, dans les labyrinthes de l’administration qui les gère et les immatricule, avant de les expulser ou, quelques années plus tard, de les parquer dans les camps de concentration du régime de Vichy…
Thierry Cecille
JE SUIS L’ÉTRANGER
DE MAGDELEINE PAZ
La Thébaïde, 396 pages, 22 e