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Égarés, oubliés Le partageur

avril 2016 | Le Matricule des Anges n°172 | par Éric Dussert

Précurseur de l’économie collaborative, Jacques Duboin a eu recours au roman pour expliquer qu’il est imbécile de produire de la misère dans un monde d’abondance.

Tandis que se prépare une belle connerie en matière de Code du travail, il paraît bon de signaler respectueusement à nos édiles qu’ils accumulent quelques décennies de retard en matière de pensée économique. Dans les années 30, Jacques Duboin, député et militant, élaborait ce qui s’apparente à l’économie collaborative telle qu’elle tente toujours d’émerger. Empruntant à Montaigne le principe des Lettres persanes, Duboin avait imaginé l’arrivée dans l’Hexagone de Kou, un Mandchou, fils de l’Empire céleste, que l’observation du fonctionnement de la société française conduit à l’ahurissement. D’où le titre de son roman, Kou l’ahuri, ou la misère dans l’abondance ! (1934). Ce livre, c’est tout le combat de Duboin mis en littérature : notre planète possède de quoi faire vivre décemment toute la population du globe mais des milliers d’êtres humains meurent de faim dans le tiers-monde et le quart-monde manque à nos côtés de l’essentiel. Cependant qu’hommes politiques et économistes marron s’obstinent dans leur discours sur la « nécessaire » austérité, et que, trop lâches et trop intéressés pour imaginer une solution alternative, ils butent sans fin sur les mêmes obstacles.
Né en 1878 à Saint-Julien-en-Genevois (Haute-Savoie), Jacques Duboin savait de quoi il retourne. Député de son département entre 1921 et 1928, il était aussi industriel et banquier, bien à même de démontrer ce qu’il avançait et peu enclin à se laisser fermer le bec par la voix dominante. Fondateur en 1934 de la Ligue pour le droit au travail et le progrès social qui deviendra plus tard le Mouvement français pour l’abondance, il ne cessa de se battre pour son idée fixe et généreuse : nous pouvons tous vivre avec les moyens dont nous disposons.
Pour appuyer son propos, il écrivit d’abord les Réflexions d’un Français moyen que préface l’essayiste Henry de Jouvenel en 1923 pour les éditions Payot, puis fit paraître La Grande Révolution (Fustier, 1934), un succès traduit en plusieurs langues, Ce qu’on appelle la crise, En route vers l’abondance. Il publia même à partir de 1957 une revue qu’il assumait seul, Réflexions d’un Français moyen, Bulletin économique mensuel… où il donnait des pistes pour réformer les usages économiques et, partant, les mentalités. Moins de travail, plus de partage des richesses.
Jacques Duboin disparaît le 17 mars 1976 à Versailles après une vie bien remplie. Il fut, s’en souvient-on, un précurseur direct de René Dumont, le fameux agronome écologiste et tiers-mondiste dont le père, Remi Dumont avait publié en 1936 Misère ou Prospérité paysanne ?, un livre qu’avait justement préfacé Duboin. Et son Kou l’ahuri restera probablement un livre significatif du XXe siècle, notamment parce qu’il montre que tous alors n’étaient pas aveugles ou guidés par l’intérêt individuel, comme Kou qui se désole de ce qu’il a vu de la France industrielle : « je reviens à mon voyage qui se termina par un crochet dans le Nord. Dans cette grande région industrielle règne une profonde détresse. J’ai vu les tissages rachetés par un consortium de fabricants à seule fin d’envoyer des milliers de métiers à la ferraille. Il y a, paraît-il, trop de tissus. » Plus loin, il se paye Edouard Herriot, le magistral cumulard représentatif du radical de la IIIe République qui négligeait la misère qui s’était abattue sur les chômeurs de la Croix-Rousse.
De quoi manquent donc les Français ? demande-t-on à Kou, qui répond « Je vais vous dire ce qui vous arrive : vous vivez le plus beau moment que l’humanité ait jamais connu, l’instant où l’abondance fait son entrée triomphale dans le monde. Mais, comme vous rompez brutalement avec des dizaines de siècles où tout ce qui était utile était rare, vous êtes plongés dans une stupeur imbécile. Et vous cherchez des précédents dans l’histoire, alors qu’il n’en existe pas (…). Le premier soin de Karl Marx s’il revenait serait de faire une nouvelle édition, revue et corrigée, de ses ouvrages. »
Et Kou l’ahuri, avant de rentrer chez son père, sa carte de séjour n’ayant pas été renouvelée, donne son explication : « Messieurs, il n’y a plus place aujourd’hui dans les grandes nations modernes, que pour deux grands partis : celui des partisans de l’abondance ; celui des bénéficiaires de la rareté. Les partisans de l’abondance estiment que si l’homme a inventé des machines, (…) c’est pour diminuer son labeur et non pour sombrer dans une noire misère. (…) Les bénéficiaires de la rareté, au contraire, cherchent à ressusciter cette bienfaisante rareté qui permettait de réaliser les profits individuels et dont l’expression idéale est la disette. (…) Alors ils ont imaginé les cartels, les trusts, les comptoirs de vente, les contingents, les primes à l’exportation et la resserre aux Halles. Ils préfèrent conserver leurs appartements vides, bien que les araignées soient dispensées jusqu’ici d’acquitter un loyer. Ils commencent à détruire l’outillage, et ils continueront, sous le couvert du corporatisme, à anéantir des moyens de production sans se douter qu’ils suppriment, du même coup, des consommateurs solvables ».
On reconnaîtra que l’histoire patine… À l’instar de Brice Parain qui donne son Essai sur la misère humaine, Jacques Duboin fait partie des agitateurs qui tentent de renouveler la pensée politique en France après 1918 dans un grand pullulement d’intelligences. Aux côtés de René Dumont dans nos mémoires, il a bien mérité notre reconnaissance.
Éric Dussert


Le partageur Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°172 , avril 2016.
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