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Poésie Le cyrillique tombé en moi

mai 2016 | Le Matricule des Anges n°173 | par Emmanuel Laugier

Jean-Claude Pinson suit son Walden russophile, traversant en 33 lettres les sillons de cette terre vaste sous toutes les coutures – de voix, d’Histoire, de divagations.

La Russie a déjà résonné à plusieurs reprises dans les livres de Jean-Claude Pinson. Pas seulement à cause de ce poétariat dont il forgea le nom quasi marxien pour en faire l’emblème du travail ouvert par le poète dans la couche de tchernoziom, ni même parce qu’il plaça son essai À Piatigorsk, sur la poésie au pied du Caucase, dans la petite ville thermale où Lermontov vécut et mourut lors d’un duel. Mais plutôt parce qu’avec ce mot « Russie » vient peut-être un bout de sa propre vie, cette « immanence » vitaliste dont l’expérience poétique s’élargit jusqu’à devenir une véritable poéthique, comme l’écrivait Perros. Une vie autre, un placenta redécouvert non comme l’indice d’une provenance mais comme la marque d’une destination nouvelle, une véritable vita nova. Alphabet cyrillique en est la modulation, et use en cela d’une construction aussi savante que joueuse, s’apparentant au millefeuille d’un dictionnaire perso (Pinson ne cesse d’user de ce genre de contraction populaire) conçu pour tous, d’un carnet indexé de mots à la prononciation toute retorse pour les locuteurs de langues romanes que nous sommes.
À chaque entrée sa micro-fiction prosée, sa dérive, son récit en rêve, ses personnages, ses appels d’air, ses inflexions de voix – entre perceptions, souvenirs et réflexions. Le livre évite pourtant l’écueil du savoir-faire ou celui de la joliesse voyageuse en inscrivant en lui, comme un préalable, la part fictionnelle dont use Pinson depuis Fado (2001). Ainsi la présentation des personnages, appelés dès les premières pages sur le devant de la scène : Lermontov – ou Lerma, ou M.I.L –, son « double acronyme »  ; « Beaudelaire, Charles, dit C. B., vieux, grognard, maugréant »  ; « Cæleps, F., militant désœuvré, bolchevik de la vieille école »  ; « Leopardi, Giacomo, sosie du poète italien. Philologue et russophile, chef de cœur. Fréquemment appelé « Léo » »  ; « Lula le sage (Kojève) Aï » (me, I, double de Pinson) ; et encore « Alice », qui « a le goût des crayons de couleur et la peinture » et dont on subodore qu’elle traverse les miroirs en tous sens. C’est avec cette bande, soudée par les parlures et les silences, les gestes et les pensées – avec mitaines, fichus, bottes, enroulés dans la grande pelisse dont parle Mandelstam –, que tous volent dans le cyrillique, creusant la langue russe de tous les mondes qu’elle convole jusqu’à nous. C’est l’équivalent du petit pan de mur jaune de la Vue de Delft de Vermeer, mais à Saint-Pétersbourg… ou de toute ville, la plus modeste soit-elle, et de sa Neva, « énooorme », qu’écume et parcourt ce livre magique.
L’entrée « Album mode d’emploi » (albom) renseigne sur l’opération de ce petit commando pacifique : « Avons décidé de nous lancer dans cet alphabet, Aïe-et-moi, le 24 mai 2008 », les camarades décembristes ayant conseillé un hôtel « oulitsa Karla Marxa » (rue Karl Marx), puis « aucun plan. Zéro feuille de route. Départ à l’aventure. Au hasard Balthazar. À seul bon gré de l’ordre alphabétique ». La fiction appelant, Deleuze se retrouve par son Abécédaire aux côtés des Pussy Riot ; les annonces, dont la légèreté appelle le ratage et la décapitation de l’esprit de sérieux, demeurent assez mesurées pour laisser place à des percussions poétiques telles ce « sans discours pour les arbres et le vent, la mer. Sans discours pour personne. / Parler morse, paroles au vent // étoiles, étoiles indifférentes à la houle qui agite la cime des pins // chantant, susurrant plutôt, la chanson de l’alphabet russe, sa comptine ». S’enchâssent alors proses narrées et vers épars dispersés qui, en explosives clignotantes, évoquent la langue Zaoum chère à Velimir Khlebnikov dans la presque langue du transport ordinaire. Ainsi, les entrées « Sani » (luge), « Sdvig » (déplacement, glissement), « Snieg » (neige), « Stikhi » (vers) ou « Svadba » (mariage) sont les avant-coureurs de l’escapade « dératage » où, entre dérapage et déroutage, désamarrage et déracinement, Beaudelaire se dit « prêt s’il le faut à leur slavonner la page. En pince pour la splendeur du ratage. Soutient que les ratures sont des enluminures. Qu’un peu de dérapage ne peut pas nuire ». Courses de luge, rallyes, « fortes poussées d’adrénaline garanties », « grande joie que c’est / liesse en été / d’y aller, en forêt, liesse bien nommée, bien aimée, faire griller des / chachliks, des brochettes de mouton / grande affaire russe, la forêt : », où s’immiscent des centaines de mots, graines en fait d’espérance (nadejda) que voilà décuplée « en italique à l’assaut avec l’infatigable po&sie ».
Emmanuel Laugier

Alphabet cyrillique de Jean-Claude Pinson
Champ Vallon, 356 pages, 24
Du même auteur paraît Autrement le monde. Sur l’affinité de la poésie et de l’écologie (Joca Seria, 45 pages, 4,50 )

Le cyrillique tombé en moi Par Emmanuel Laugier
Le Matricule des Anges n°173 , mai 2016.
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