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Domaine étranger Presque le paradis

juin 2016 | Le Matricule des Anges n°174 | par Thierry Cecille

En ce 31 août 1939, le volubile Jossel Wassermann, aux portes de la mort, retourne par la pensée et le récit dans son shtetl de Bucovine : Hilsenrath ressuscite avec émotion ce monde disparu.

Le Retour au pays de Jossel Wassermann

C’est avec une remarquable fidélité que les éditions Le Tripode poursuivent la publication des œuvres d’Edgar Hilsenrath. C’est en effet le sixième volume que nous pouvons ainsi (re)découvrir – et cette édition, coïncidence émouvante, a lieu au moment où le romancier fête ses 90 ans. Né en 1926, en effet, à Leipzig, il dut, avec sa mère et son frère, fuir le régime nazi – et se réfugia en Bucovine, alors territoire roumain, à Siret où vivaient ses grands-parents. C’était là malheureusement une bien mauvaise idée : il leur fallut survivre durant trois ans dans le ghetto de Mogilev-Podolsk. Libéré en mars 1944, Hilsenrath entama alors une existence picaresque qui le conduisit en Palestine puis à New York et enfin en Allemagne où il vit depuis 1975. En même temps qu’il accumulait les métiers divers, il se fit romancier, éprouvant des difficultés à se faire publier, tant sa manière d’aborder des thèmes devenus comme intouchables pouvait choquer. Le succès vint pourtant, lentement mais sûrement. Hilsenrath possède en effet une voix inimitable et une maîtrise parfaite de la narration. Qu’il s’agisse, par exemple, de dépeindre avec une cruelle franchise et une paradoxale énergie les horreurs du ghetto dans Nuit – sans doute son chef-d’œuvre, une des créations les plus fortes sur cet aspect de la Shoah – ou de raconter sur un rythme proprement infernal le génocide arménien dans Le Conte de la dernière pensée, Hilsenrath embarque son lecteur et le conduit dans ces territoires de l’extrême.
Le voyage, ici, tout aussi riche et mouvementé, sera tout de même plus plaisant que dans les romans que nous venons d’évoquer… Jossel Wasserman, sentant approcher sa fin, convoque, en ce 31 août 1939, alors que « l’air sent la fin du monde », son notaire : riche industriel propriétaire d’une usine de pain azyme à Zurich, il veut mettre au point son testament. Mais un homme tel que lui ne se contentera pas d’indiquer, en quelques formules concises, ses dernières volontés. Il saisira l’occasion pour se raconter, et raconter ce que furent cette bourgade et ses habitants, où sa famille, depuis plus d’un siècle, vivait, où il vécut son enfance et sa jeunesse et dont, bien sûr, il garde la nostalgie. Nous voici donc transportés en Bucovine, à Pohodna, non loin de la célèbre Czernowitz (la ville, rappelons-le, de Celan, d’Appelfeld ou de Gregor von Rezzori…). Renaît alors devant nos yeux ce que fut le shtetl, ces villages et villes d’Ukraine, de Biélorussie, de Roumanie ou de Pologne où vivaient ces Juifs en caftan, parlant le yiddish, miséreux ou embourgeoisés, pieux ou moins pieux, que les photographies, par exemple, de Roman Vishniac, sauvées de la destruction totale, nous donnent à voir. En une évocation assez breughélienne, nous allons y rencontrer Rifka la boiteuse, le porteur d’eau Jankl, les enfants qui doivent subir la férule du miséreux maître d’école du seder qui doit leur enseigner les nécessaires rudiments d’hébreu. Nous verrons une aïeule de Jossel parvenir à enlever de la gorge de Français-Joseph une arête dangereuse de hareng, et en profiter pour lui demander d’émanciper les Juifs de son empire ! Nous découvrons les luftmenschen, littéralement hommes de l’air, c’est-à-dire mendiants, bons à rien, méprisés et choyés à la fois par les habitants qui semblent tous posséder une sagesse modeste et une endurance à toute épreuve face aux coups divers du destin. Nous voyons l’enfant Jossel fiancé à 5 ans à Rebecca – qui elle n’a que trois semaines ! Il l’épousera (la nuit de noces réserve des surprises qu’il serait malséant de divulguer ici) mais elle mourra bientôt. Célibataire, il n’échappera pas à la Première Guerre mondiale mais, après de rocambolesques épreuves, parviendra en Suisse où il fera fortune. Ce ne sont là que quelques épisodes parmi des dizaines d’autres semblables, qu’Hilsenrath raconte avec « les mots de la mémoire », une fois que Pohodna a été rayée de la carte. Dans les rues tombe alors une curieuse neige : « Ce sont les plumes des édredons des Juifs (…). Les pillards ont cherché de l’or, et ils ont surtout éventré les édredons. Et ils ont laissé les fenêtres ouvertes et lancé coussins et édredons dans la rue. (…) Et le vent et la tempête font tourbillonner les plumes ».
Thierry Cecille

Le Retour au pays de Jossel Wassermann
d’Edgar Hilsenrath - Traduit de l’allemand par Christian Richard
et Chantal Philippe, Le Tripode, 280 pages, 20

Presque le paradis Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°174 , juin 2016.
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