Lorsque The Wig (Les Tifs) paraît aux États-Unis en 1966, il est accueilli avec réserve. Véritable pamphlet contre la société américaine, ce dernier déborde d’une verve politiquement incorrecte, qui a tôt fait de déranger. Tout comme ses deux pendants, Le Messager (publié en 2014 par Le Tripode) et Absolutely nothing to get alarmed about (encore non traduit à ce jour), il est vite censuré. Son auteur, Charles Stevenson Wright, connaît malheureusement le même sort. Ce passionné de Faulkner devenu orphelin très jeune s’insurge contre le racisme et l’intolérance qui façonnent son quotidien. Il se veut le messager des Noirs. Les histoires qu’il choisit de raconter sont autant de témoignages de vies misérables, honteuses et vagabondes – comme un saisissant reflet de la sienne. Tombé dans l’alcoolisme, Charles Stevenson Wright meurt en 2008 dans le plus complet dénuement, laissant derrière lui une œuvre injustement effacée.
Et pourtant, comment oublier ses personnages loufoques et colorés ? Les Tifs nous introduit ainsi auprès de Sandra Hanover, travesti pétri de culture cinématographique, et de Little Jimmie Wishbone, vieille star périmée, obsédée par les Cadillac. Cette galerie de portraits burlesques s’étend à Deb, l’attachante prostituée, Mr Sunflower Ashley-Smithe, l’hypocrite impresario, et Nonnie Swift, la sorcière hallucinée. Tous ces marginaux croisent le destin du héros, Lester Jefferson, qui n’est autre qu’un double de l’auteur. Ce dernier cherche désespérément un travail. Tout y passe : il s’imagine portier puis chanteur, vole de temps en temps au moyen d’une carte de crédit falsifiée, et finit déguisé en poulet pour promouvoir une grande enseigne. La réussite, qui se résume à posséder de l’argent, des filles et un peu de reconnaissance, lui échappe sans cesse. « Je vais rentrer dans le lard de cette ville, même si je dois y laisser ma peau », se promet-il, alors même que tout semble déjà perdu.
Les Tifs représentent son seul espoir. Au terme de longues heures de transformation à la suite desquelles ils deviennent blonds et lissés, selon un effet dit « Silky Smooth », ils constituent à eux seuls une petite révolution. « Le soleil brillait. Baigné par la chaleur de ses rayons, je suis devenu le fils dominical d’Apollon. Ma nouvelle image s’était cristallisée. Une image aristocratique », se réjouit Lester. Persuadé d’avoir trouvé là la solution miracle à tous ses problèmes, il déambule dans New York avec une fierté neuve. Le Harlem des années 60, son argot, ses substances illicites, apparaissent au détour de cette pérégrination sans but ni fin. Cette « mer de musique » marquée par Billie Holiday et Barbra Streisand fait se croiser chants géorgiens et berceuses arabes, pour le plus grand bonheur des oreilles. Et « les flics, chevaliers pépères, somnolaient, se limaient les ongles ou lisaient le journal. Les nègres ne couraient plus dans les rues. »
Cependant, Lester court de désillusion en désillusion. Les Tifs ne le sauvent en rien. Il essuie les mêmes refus, les mêmes regards méprisants, qu’à l’époque de ses cheveux noirs et crépus. Un employé de banque lui fait ainsi savoir qu’il doit « d’abord remplir un formulaire de candidature et suivre une formation de six semaines sur l’art d’être humain, l’art d’être blanc » avant de prétendre à un quelconque poste. Si sa chevelure est lumineuse, sa peau, elle, demeure encore trop sombre. Et Lester se demande si son imposture n’est pas une trahison envers ce qu’il est véritablement. Sa démarche, aussi maladroite et naïve qu’elle soit, répond à un désir de vengeance, qui s’apparente sans doute à celui de l’auteur. L’écriture corrosive des Tifs, qui oscille entre vaudeville et satire sociale, est une revanche sur la vie. Son comique incisif est habité par un ressentiment que rien n’apaise. Pas même les illustrations de Félix Godefroy, d’une justesse très touchante.
Camille Cloarec
Les Tifs De Charles Stevenson Wright
Traduit de l’américain par Charles Recoursé, ill. de Félix Godefroy, Le Tripode, 200 pages, 22 €
Domaine étranger L’art d’être blond
juillet 2016 | Le Matricule des Anges n°175
| par
Camille Cloarec
Le deuxième roman, amer et réjouissant, de la trilogie qu’a consacrée Charles Stevenson Wright aux marges de New York.
Un livre
L’art d’être blond
Par
Camille Cloarec
Le Matricule des Anges n°175
, juillet 2016.