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Essais « Laëtitia, c’est moi »

septembre 2016 | Le Matricule des Anges n°176 | par Martine Laval

L’historien Ivan Jablonka s’empare de « l’affaire Laëtitia » pour en révéler la portée politique et sociologique, au-delà du simple fait divers.

Laëtitia ou la fin des hommes

Aux yeux du monde, elle est née à l’instant où elle est morte. » Elle, Laëtitia Perrais, 18ans, assassinée – on s’interdit presque d’écrire « sauvagement » – la nuit du 18 au 19 janvier 2011. « Laëtitia, poursuit Ivan Jablonka, n’existerait pas sans les médias, sans l’onde de choc transmise aux quatre coins du pays. Les dizaines de millions de personnes qui n’avaient jamais entendu parler d’elle ont appris son existence au moment de sa disparition. La télévision, la radio, la presse, Internet ont érigé une figure paradoxale, présente parce que absente, vivante parce que morte.  »
Le chercheur en sciences sociales se défroque, outrepasse certaines consignes académiques – les fameuses objectivité & neutralité –, et s’implique avec force. Il se met en scène, en jeu même, s’insurge : « Laëtitia incarne deux phénomènes plus grands qu’elle : la vulnérabilité des enfants et les violences subies par les femmes. » Constat : « Nous vivons dans un monde où les femmes se font injurier, harceler, frapper, violer, tuer.  » Alors, le « prof de fac poivre et sel » tout en disséquant scrupuleusement « l’affaire Laëtitia » ne rechigne pas à quelques vibrantes envolées. Il ne cache ni son émotion ni ses larmes, déclare son affection pour cette gamine qui espérait partir dans la vie d’un nouveau pas, et par là, remiser son enfance douloureuse, sortir d’un mécanisme social infernal – lui aussi criminel. Mieux, Ivan Jablonka se donne une mission : rendre à Laëtitia une dignité qu’elle n’a peut-être jamais connue.
Ivan Jablonka, romancier et essayiste, veut écrire du vrai. Il engrange les documents, les entretiens avec les flics, journalistes, magistrats, responsable des services sociaux – et ce médecin légiste pourtant rompu à l’ignominie mais qui, là, reste abasourdi. Au terme de ses quatre cents pages palpitantes, autant enquête que récit de l’enquête, autant analyse que réquisitoire, l’auteur a cette phrase, d’une simplicité touchante : « Ce livre est pour elle.  »
Pourquoi cette jeune fille a-t-elle fini sa courte vie comme un animal de boucherie ? La faute à pas de chance ? La faute à un certain déterminisme ? Est-ce fait divers ou lent processus de destruction, « chronique d’une mort annoncée  » ?
Les faits : Laëtitia a 3 ans, son père viole sa mère – une femme qui ne sera plus que l’ombre d’elle-même, incapable d’assumer quoi que ce soit, elle est « invisible ». Maltraitées, abandonnées, abonnées à la peur, elle et sa sœur jumelle, Jessica, sont placées en famille d’accueil où règne un drôle de type, trop fier de son pouvoir jusqu’à abuser – violer – Jessica. Les deux gamines sont en quelque sorte plus que « programmées » dès leur prime enfance. Les stigmates de leur enfer ne font que grouiller, s’amplifier. Elles accusent du retard à l’école, s’accrochent, sont suivies par une kyrielle d’institutions de protection des mineurs et leurs agents, suivent une formation, CAP cuisine pour l’une, CAP serveuse pour l’autre. Addictes à Facebook, aux sms malhabiles et attendrissants (« La vie est fête comme sa  »), les adolescentes s’inventent une normalité, rêvent de s’échapper, être autonomes. Est-il possible de refuser son héritage ? Est-il imaginable de dépasser les traumatismes affectifs et psychologiques ?
Mais voilà, la déveine ne lâche rien. Laëtitia disparaît, enlevée tout près de chez elle. Il faudra aux gendarmes des semaines de recherches pour retrouver son corps, un morceau par-ci, un morceau par-là, au fond d’un étang noir comme une malédiction. À l’horreur du meurtre s’ajoute l’obscénité.
Très vite, cependant, un homme est arrêté. Il a lui aussi un passé des plus tortueux, douloureux. Le présumé innocent devient dans la bouche d’un certain Nicolas Sarkozy, alors président de la République, le « présumé coupable ». Le chef d’État enfourche alors son populisme tel un preux chevalier, mise sur un nouveau cheval de bataille : sus aux délinquants sexuels ! Sarko pense-t-il se faire une virginité en accusant les magistrats de laxisme et autres ? Bien mal lui prend : les travailleurs de la justice vont se rebiffer : grève générale. Le fait divers devient affaire d’État.
Fait divers ? Ivan Jablonka offre une nouvelle définition de ces deux petits mots qui ont tant nourri la littérature, de cette expression galvaudée qui dit si peu si mal la monstruosité des actes, l’épouvante des victimes, le voyeurisme, l’impudeur : « Au lieu de dégainer le fait divers comme le symbole du mauvais goût populaire ou la marotte d’un journalisme dégradé, rappelons-en la potentialité démocratique : il émeut les gens, mais surtout il nous parle d’eux.  » Et nul doute, de nous-mêmes.

Martine Laval

Laëtitia ou la fin des hommes,
d’Ivan Jablonka, Seuil, « La librairie du XXIe siècle », 383 pages, 21

« Laëtitia, c’est moi » Par Martine Laval
Le Matricule des Anges n°176 , septembre 2016.
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