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Égarés, oubliés « Je chante, je nage, je cours »

octobre 2016 | Le Matricule des Anges n°177 | par Éric Dussert

Romancière et directrice du Journal de la Femme, Raymonde Machard fut l’archétype de la femme rugissante des années 1920.

Moins casse-cou que Titaÿna et plus vamp qu’Andrée Viollis, plus crédible qu’Isabelle Eberhardt mais moins chatte que Colette, Raymonde Machard incarne la Femme des Roaring Twenties. Lorsqu’elle lance le samedi 12 novembre 1932 son Journal de la Femme, on ne parle que d’elle. Depuis le début de son activité de journaliste et la parution de son premier roman, Tu enfanteras…, roman de 1919 où elle célèbre la maternité « en chantant », Raymonde Machard est devenue vite une figure de proue. Elle a 30 ans (elle est née le 8 février 1882 à Paris), épouse le romancier, dramaturge et homme de cinéma Alfred Machard (1887-1962) et mène si bien sa barque et son œuvre qu’elle devient l’archétype de la femme libérée de l’après-guerre. Comme Colette, le public l’adore, elle en fait des kilos, vend jusqu’à deux cent mille exemplaires et plus de ses romans qui ressemblent comme deux gouttes d’eau à des bluettes : L’Œuvre de chair (Ferenczi & fils, 1924), La Possession (Flammarion, 1927), La Séduction, (Baudinière, 1951). Des livres qui reflètent comme l’écrivent Roger Chartier et Henri-Jean Martin dans Le Livre concurrencé (1991), « les nouvelles aspirations féminines et l’évolution des mœurs ». Des historiens qui ne peuvent s’empêcher d’ajouter « peut-être davantage liées au fantasme qu’à la réalité ».
Raymonde Machard n’avait pas cure des commentaires de rabat-joie. Elle y allait à fond les manettes. « Je suis Parisienne, clame-t-elle lorsqu’on l’interroge, je conduis une voiture. Je chante, je nage, je cours. » Dans l’éditorial du numéro inaugural de son Journal de la Femme intitulé « À ma lectrice », elle constate que « le journalisme appartient aux hommes, exclusivement. Jamais une femme n’a été appelée à la direction d’un grand journal, sinon féministe. Le mien est “féminin”. Il ne veut point combattre sur le terrain où s’affrontent les représentants du sexe fort. Il leur laisse, bien volontiers, leurs prérogatives et leurs passions. À cause de cela, il sait que l’amitié et l’intérêt des hommes lui restent acquis. Mais, eux, doivent savoir une chose : c’est que l’âme délicate de leurs compagnes a ses besoins, comme leur âme virile a les siens. Dans leurs journaux, ils ne s’en préoccupent pas, ou guère ou mal, précisément parce qu’ils sont “hommes” et que, de ce fait, ils ne “voient”, ni ne “sentent” la vie comme nous. Tout est là. Les femmes devaient-elles être privées plus longtemps de “leur” journal ? Non ! Aussi, j’ai voulu combler cette lacune. »
Avec toute « la puissance de (s)a foi  », Raymonde Machard ouvre « nos yeux sur le monde », une rubrique de reportage qui s’intéresse pour commencer aux femmes qui fument la pipe (sic), puis on passe à la question que tout le monde se pose, « Faut-il être belle pour être aimée ? », viennent les « opinions des lectures et des lecteurs », les « éphémérides de la chance », « Le film qui plaît aux femmes » ou leur déplaît, « Le sport, madame », « La femme et son enfant », « La pièce qui déplaît aux femmes », « Les drames du cœur », la rubrique qui ne risque pas d’être à sec, une nouvelle intitulée « Une mère » par Maurice Noury – il n’a pas laissé un souvenir intense, comme le roman-feuilleton du mari, Alfred Machard – on ne peut s’empêcher d’y voir un acte manqué – qui s’intitule « Le Maître des femmes ». De fait, peu de rédactrices, même si Magda Contino (Marie-Madeleine Lavergne) signe un pseudo-reportage sur le mystérieux Tibet (une resucée des aventures elles-mêmes controversées d’Alexandra David-Neel). Et c’est Edouard Helsey (1883-1966) qui mène une enquête « Au pays où la femme est déesse ».
En somme, le résultat n’est pas complètement probant, surtout si l’on cite encore la rubrique astrologie… Mais contrairement à Colette, Raymonde Machard connaît le business et a pris les mesures nécessaires et cyniques nécessaires au succès de son entreprise. Dix-sept ans plus tard, lorsque le journal publie son ultime numéro, le mercredi 2 mars 1949, c’est une pin-up déguisée en cow-boy qui illustre la couverture… En 1938, elle avait cependant signé un essai qui n’était pas ridicule, Les Femmes cachées : le sort des femmes dans le monde (Flammarion), et tout juste après la Deuxième Guerre mondiale un véritable pamphlet féministe Les Françaises, ce qu’elles valent, ce qu’elles veulent (1945). Là, en opérant des choix dans les courriers de ses lectrices, elle se livre à une analyse des ambitions des femmes et des freins qui les empêchent. Elle appelle à la création d’un ministère de la Maternité et se fâche lorsqu’elle imagine les arguments qui lui seront opposés : « Qu’on ne me dise point surtout, devant l’ampleur de la tâche, que la propagande coûte cher, que les budgets de la nation sont limités. L’État, quand son intérêt est en jeu, fait montre de largesse. Ainsi nous pouvons admirer avec quelle ingéniosité, quelle abondance, il nous vante par l’affiche, le tract, la conférence, la radio, voire le cinéma, la saveur des cigarettes Gitanes, ou l’opportunité d’un Emprunt. »
Jamais appelée à conduire le ministère de son rêve, Raymonde Machard aura encore l’occasion de diriger le théâtre du Grand-Guignol (1954-1960) et de prendre une retraite méritée avant de s’éteindre à l’âge de 89 ans, le 26 mars 1971, quatre ans avant que Simone Veil ne fasse voter sa loi par l’Assemblée nationale.

Éric Dussert

« Je chante, je nage, je cours » Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°177 , octobre 2016.
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