Voyage d’hiver est un recueil de quatorze nouvelles, sur lequel Jaume Cabré reconnaît avoir travaillé de 1982 à 2000 (autrement dit un ensemble de textes très antérieurs aux romans qui ont fait de lui un des plus grands écrivains de langue catalane). Il doit son titre, entre autres sources possibles (on en trouvera d’ailleurs la liste complète en fin de volume), à la « discutable biographie » de Franz Schubert réalisée par Gaston Laforgue.
Dans ce recueil, Cabré a pris soin de diversifier les situations : un pianiste paralysé en plein concert par une peur panique (il faut dire à sa décharge qu’il croit avoir aperçu Schubert en chair et en os assis au premier rang), un mari qui découvre, le jour où l’on enterre son épouse, qu’il est stérile et que leurs trois enfants ne sont donc pas de lui, un prisonnier qui abandonne son plan d’évasion pour lire les lettres que lui a envoyées sa fille et qu’il attend depuis toujours, un bibliophile qui collectionne (afin de les lire) des livres oubliés de tous, un garçon de 9 ans, dans le camp de Treblinka, qui tue toute sa famille juive sous les yeux amusés des SS, un gars un peu pop qui drague une serveuse dans une discothèque, se fait ensuite démolir le portrait par un videur et se transforme en sniper pour se venger (on apprend qu’il a récemment quitté le séminaire), un simple d’esprit qui devient soldat et tue sa propre mère sans s’en rendre compte, ou encore un couple qui décide de se revoir devant le tombeau de Schubert, vingt-cinq ans après leur première rencontre, pour faire le bilan de leur vie (« Après vingt-cinq ans, tout sera joué. Mais si nous sommes vivants nous pourrons dire si nous nous sommes trompés. »)… Nous passons ainsi d’un auditorium à une prison puis à une bibliothèque privée, de la même manière qu’il nous faudra passer du XXe siècle au présent de Rembrandt ou à celui de Jean-Sébastien Bach, ou du Vatican à Treblinka, et de Vienne à Oslo (contrairement aux grands romans de Cabré, presque toujours campés dans des microcosmes, comme ces petits villages perdus dans les montagnes de la Catalogne).
Voyage d’hiver, et cela peut d’ailleurs surprendre, est un recueil fait de textes de valeur inégale : des nouvelles policières plutôt légères côtoient des textes aptes à ravir les plus mélomanes et les plus érudits des lecteurs. Au-delà de cette disparité manifeste, l’auteur a tissé entre ses récits de subtils liens, un réseau complexe d’échos et de résonances, dont le lecteur prend note au fil de sa lecture, et qu’il continuerait probablement de détecter s’il optait pour une seconde traversée du volume. L’ultime nouvelle par exemple, « Winterreise », complète la première (« Opus posthume ») : on comprend grâce à la dernière pourquoi, dans la première, lors d’un appel téléphonique passé par le pianiste Pere Bros, pourtant en pleine crise de panique, son interlocuteur et ami Zoltán Wesselèny paraît peu désireux de poursuivre l’échange.
Le lecteur aura le plaisir de retrouver...
Dossier
Jaume Cabré
De Schubert à Rembrandt
mars 2017 | Le Matricule des Anges n°181
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