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Domaine français Ne pas être que soi

avril 2017 | Le Matricule des Anges n°182 | par Gilles Magniont

Un Journal de rêve réunit des articles parus entre 1972 et 1986 – quand Guy Hocquenghem affrontait crânement les progrès de ce « grand hiver » où nous demeurons.

Se faufilant, dandinant, pressés l’un contre l’autre, à la queue leu leu au long des boyaux d’égout du Haute Tension, des caves de saunas moisis, des sous-sols de garage désaffectés et des hangars de quai ; grouillant par centaines dans les mêmes boîtes glauques, trottinant en file et couinant à la lune le samedi soir, les pédés m’ont souvent fait penser à des rats »  : ainsi commence l’article « Comme des rats », Gai Pied Hebdo de février 1985. Il est signé par Guy Hocquenghem, autrefois membre éminent du Front homosexuel d’action révolutionnaire, ou FHAR.
Reprenons vers les débuts, circa mai 68. Le lycée Henri-IV, l’École Normale, l’occupation de la Sorbonne, les groupes trotskistes puis maoïstes, soit, à première vue, les mêmes lieux que ses camarades cadors. Sauf qu’Hocquenghem a ceci de particulier qu’il se voit contraint de dissocier absolument le territoire des militants et celui des amants, ceux-ci envisageant ceux-là comme des dégénérés. D’où silences et mensonges, dont il se défait enfin avec éclat, d’abord dans le cadre collectif du FHAR et de ses manifestes – Vous combattiez pour les noirs et vous traitiez les flics d’enculés, comme s’il n’existait pas de pire injure. –, puis en procédant tout seul dans la lumière, avec (Nouvel Observateur de janvier 72) la tribune « La révolution des homosexuels », coming out inaugural de notre temps, où il s’agit pour lui d’affirmer ce désir inconcevable à ses contemporains, gauche radicale et puritaine incluse. Au fil du quart de siècle qui va suivre (il meurt en 88, des suites du sida), Hocquenghem écrira bien d’autres textes, au rayon fictions (à succès, mais pour la plupart introuvables aujourd’hui), essais (en 2014, Agone réédite avec soin sa Lettre ouverte à ceux qui sont passés du col Mao au Rotary), ou articles, dont Verticales publie maintenant une anthologie.
Première manière de lire cette sélection : en vivant par procuration, ou revivant, un bout d’histoire. Entre autres : histoire des lendemains de fête (le « ressac de mai  », ses suicidés, ses drogués et le « grand hiver qui commence  »), histoire d’une télévision où prennent corps les idées progressistes ou réactionnaires (dans un placard de Libé, Hocquenghem chronique « Les Dossiers de l’écran »), histoire de l’école émancipée (Hocquenghem traîne dans l’université de Vincennes, chargé de cours au département philo créé par Foucault), histoires des pratiques amoureuses, comme lorsqu’il se mêle au théâtre gay des nuits new-yorkaises – « Pour du fist-fucking, c’est du fist-fucking ». Pour autant, on ne se le figure pas reporter et sa frime en bandoulière : rien qui sente l’encanaillement et l’immersion gonzo – de rigueur à Actuel où il officia un temps –, plutôt une sorte de présence flottante, comme s’il était bien là et pas du tout. Ainsi par exemple quand il évoque ce couloir sombre autour de quoi on s’active et on gémit : stupre oblige, il faudrait observer un silence sérieux sous le panneau No speaking area, mais Guy ne peut s’empêcher – ce qui lui vaut d’être aussitôt tancé – d’adresser la parole à son voisin, « ne serait-ce que pour garder ce minimum de distance du commentaire sans laquelle je ne me sens plus humain  ».
Cette distance du commentaire, il ne cesse de l’arpenter au fil des articles. En 86, alors que sa génération prône Mitterrand, la guerre et le marché, la Lettre ouverte… dresse l’oraison funèbre des gauchistes repentis : « par ce livre, je vous extirpe de ma vie et je rends le printemps d’il y a dix-huit ans à son éternelle jeunesse  » ; on retrouve parfois cette éloquence oratoire dans Un journal de rêve  ; mais il y entre aussi la souplesse des chroniques, la rigueur factuelle de l’enquête, quelque aridité conceptuelle… autant d’inflexions diverses parcourues d’une même démangeaison : celle de se faire le négatif d’un ordre nouveau, d’affronter les attentes de son lecteur en même temps que les limites de la gauche, les petits chefs éternels et les normalités qui émergent. Alors on sort de l’Histoire, ou c’est exactement la nôtre : à coups de visions aiguës et de pensées discordantes, Hocquenghem aperçoit mon entour et le vôtre. Ici les familles entichées de psychologie et de surveillance : « La logomachie prodigieuse des parents modernes, leur capacité à détailler à l’infini une casuistique verbale raffinée et vaine ne sont jamais en défaut  » ; là la religion du Couple, l’« être-à-deux  » et son « égoïsme forcené  » devenu « condition nécessaire de l’être social  », « entité psychologique absolue, seul accès au monde » ; et puis l’avènement du « pédé désodorisé  » : « Viendra le temps où l’homosexuel ne sera plus qu’un touriste du sexe, un gentil membre du Club Méditerranée qui a été un peu plus loin que les autres ». Le temps est venu en tout cas de l’assignation identitaire et des raffinements typologiques, dont dissuade par avance l’article « Pourquoi je ne veux pas être un écrivain “gay” » : « Et si on s’étonne que, dans le même texte, à quelques lignes d’intervalles à la fois je m’affirme homosexuel, et m’en abstraie, me mettant hors du nombre, je répondrai que c’est bien le moins, de ne pas se satisfaire de n’être que soi.  »
Phrase on ne peut mieux balancée : pourquoi s’en priver ? Dans le goût des périodes et des images, faudrait-il distinguer un dandysme, une facilité, une limite ? Deux ans avant de mourir, dans sa Lettre ouverte…, Hocquenghem écrit que le style n’a jamais cessé d’être sa « seule boussole  » : voilà encore un écart avec sa génération : « Mai et surtout l’après-mai n’ont pas de production “littéraire” ». L’article « À propos de Sartre » évoque avec délicatesse la cécité du vieux philosophe, désormais tenu de dicter ou de se faire lire : dès lors, pour lui, le texte ne peut plus constituer qu’une forme préméditée, « politiquement juste  », sans rien qui file « au travers des mailles du filet des significations » – ce dont se félicite évidemment sa jeune garde, procureurs du « plaisir esthétique petit-bourgeois ». Un plaisir sur lequel Hocquenghem n’a pas voulu céder.

Gilles Magniont

Un journal de rêve, de Guy Hocquenghem
Verticales, 320 pages, 22

Ne pas être que soi Par Gilles Magniont
Le Matricule des Anges n°182 , avril 2017.
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