Journal de bord, récit intime, Le Passage ressort également du conte initiatique. Carlo Giorgi a quitté brutalement l’équipage du bateau de son père lors d’un derby. En cause, le caractère impétueux et parfois impitoyable de Fabio Giorgi. Lorsque le récit débute, sept années se sont écoulées depuis ce départ fracassant. Elles l’ont tenu loin du père, de la mer, et le jeune Italien a fondé une famille à Londres. Mais il ne résistera pas à l’appel désespéré de Fabio, coincé à bord du Katrina, « un cotre en acier tout blanc d’une douzaine de mètres » dans le cercle polaire. Il devra pour le rejoindre atterrir à Upernavik, convoyer le Katrina du Groenland au Canada. Et par-dessus tout vivre un huis clos maritime avec l’homme qu’il craint le plus au monde. À cause de ses furies subites, de ce « fauve » qui semble vivre en lui. Si le récit fait remonter à la surface les souvenirs douloureux de leurs relations, il prend également la forme d’un journal maritime au long cours. Son rythme lent, renforcé par les détails techniques propres à la navigation, où chaque geste et paroles sont rapportés avec la plus grande des précisions, lui confère une dimension quasi fantastique. Le sentiment s’installe durablement que Fabio et Carlo sont en train de passer de l’autre côté du monde. Anémomètre, winch, foc, pennon, lofer, ariser… mettent la lecture à rude épreuve, et à distance une vision romantique de ce monde d’icebergs. Mais si l’on s’accroche à cet univers c’est que l’on sent poindre derrière cette maniaquerie dans le détail, une ombre. Un danger. Il prendra la forme d’une masse sombre venue des profondeurs glaciales. « Et pour le cas où ne l’aurions pas vue, elle décida de nous frapper. »
Le Passage qui mène du Groenland au Canada, est définitivement pour Carlo, « entouré de forces incontrôlables, funestes et millénaires », celui de la découverte du père, démasqué, un « homme comme tous les autres ». Virginie Mailles Viard
Le Passage de Pietro Grossi
Traduit de l’italien par Nathalie Bauer, Liana Levi, 176 pages, 17 €
Domaine étranger Le Passage
avril 2017 | Le Matricule des Anges n°182
| par
Virginie Mailles Viard
Un livre
Le Matricule des Anges n°182
, avril 2017.