Suis-je trop naïf ? Trop sensible ? Fragile ? Suis-je trop romanesque ? Trop impulsif ? Imprudent ? Est-ce René Frégni qui s’interroge ? Ou est-ce son personnage ? ce narrateur qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau… Prince de l’intime (du récit) et roi de l’entourloupe (de la fiction), René Frégni a inventé le style René Frégni, un concentré de vérités et de mensonges, de lumières et de noirceurs. Et si ce double jeu n’était qu’une manière de revendiquer la littérature, d’y infiltrer de la vie, de l’authenticité, de distiller un peu de piment… de poésie ?
Depuis une trentaine d’années et en une quinzaine d’ouvrages, René Frégni n’en finit pas d’arpenter les chemins noirs de la vie et de l’écriture. Pour preuve, ce nouveau roman aux accents du sud, aussi romantique que perturbant. Les Vivants au prix des morts grouille de déluges existentiels et scrute nos enfers quotidiens. De la réalité à l’imaginaire, de la fougue à la sérénité, il n’y a donc aucune frontière chez Frégni. Le lire, c’est croire à l’impossible et rêver d’y prendre part, c’est accepter de se laisser bercer… ou mener par le bout du nez.
Côté récit. Voici l’écrivain – ex-animateur d’atelier d’écriture aux Baumettes – devant son cahier rouge, mais l’encre est bleue : « Ni vérité, ni réalité, ni histoire. Dans ce cahier, je ne jetterai que le hasard… » Du bluff. Voici encore les collines de Manosque, les fureurs de Marseille, la fille bien-aimée, et Isabelle, « la fiancée des corbeaux ». Voici des paysages changés en phrases ondoyantes et colorées. Voici des images chargées de mélancolie, ces heures de solitude à avaler la vie du dehors. Une haie, un piaf suffisent à l’auteur pour s’emballer comme ce moineau qui « saccage tout avec désinvolture (…). C’est moi, c’est nous, quand nous avions quinze ans, dans ce quartier écarté de Marseille. Chez nous partout, comme les rois et les voleurs ».
Côté fiction. Voici Kader, bandit en cavale et type au cœur gros qui déboule et chamboule la réclusion de l’écrivain. Qui ne sait pas dire non, qui va aider, se rendre complice d’un homme que la prison a rendu monstrueux. Voici l’engrenage, la dégringolade dans la violence. Voici une course-poursuite ou une descente aux enfers ou une histoire de dingues comme René Frégni sait les inventer, lui l’écorché vif, toujours à la lisière de l’ombre, jamais en paix, lui qui ne sait qu’attirer les mauvais coups, et seulement parfois des états de grâce.
L’auteur des Chemins noirs offre son âme telle qu’elle est, toute cabossée, tout écartelée entre la rage et la tendresse, deux mots impalpables, à jamais indissociables dans son œuvre. Frégni le révolté, Frégni le sensuel, l’éternel amoureux de la beauté – livres et femmes unis dans la même phrase – « observe les hommes » mais « fréquente les arbres », cherche refuge dans son enfance, rêve de « celle qui danse dans le noir », sa mère peut-être, ou une idée de l’amour, de la vie. Alors, il ouvre son cahier et laisse courir les mots, en liberté.
Martine Laval
Les Vivants au prix des morts, de René Frégni
Gallimard, 188 pages, 18 €
Zoom L’ange noir
mai 2017 | Le Matricule des Anges n°183
| par
Martine Laval
Écorché vif et sensuel comme jamais, l’écrivain signe Les Vivants au prix des morts. À la fois récit intime et thriller frénétique.
Un livre
L’ange noir
Par
Martine Laval
Le Matricule des Anges n°183
, mai 2017.