Michelle doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz ?
Le fait divers s’est déroulé en 2014. Au cours d’un voyage scolaire en Pologne, une jeune Américaine prend une photo d’elle souriante dans son sweat rose, devant le camp de concentration d’Auschwitz. Le selfie va provoquer un déferlement de violence et d’insultes sur les réseaux sociaux. Sylvain Levey a transformé l’adolescente en Michelle, habitant le village d’Amelécourt.
Cette pièce, Levey l’a écrite comme un enchaînement chronologique de très courtes séquences. En recevant un texto de sa mère, Michelle s’exclame : « C’est rigolo, les textos des yeuves ils écrivent comme ils parlent, avec trop de mots. » Malgré le titre de la pièce, les mots ici disparaissent. Comme dans ces brefs messages que les jeunes s’envoient, ponctués d’émoticônes et d’abréviations. Les discussions réelles sont mises en parallèle avec les discussions virtuelles. Cela donne des dialogues assez surprenants, si l’on peut encore parler de dialogue. Par exemple : « Tu dors ?/ Oui !/ MDR./ Et toi ?/ Aussi emoji à couettes espiègle./ C’est toi qu’on entend ronfler/ Emoticône diable. Tu fais quoi ?/ Un tennis avec Nadal./ Point-virgule parenthèse ». Sylvain Levey met également en jeu une trentaine d’’utilisateurs des réseaux sociaux, de Strawberryicecream à Michelle Obama, en passant par Jean-Pierre Machin. Avec ce chœur moderne, il raconte l’emballement virtuel qui peut aller jusqu’au harcèlement, notre monde autocentré, la vacuité de tous ces commentaires de commentaires qui envahissent l’espace public et privé, l’enfermement dans des réactions immédiates et un manque de réflexion criant. La professeur d’histoire va poser cette question : « Doit-on en vouloir à Michelle ? » Réponse : « Madame, quand on visite on prend des selfies c’est normal. » La professeur : « Oui d’accord, mais visiter Birkenau est-ce la même chose que passer une journée au parc Astérix ? » Réponse d’un des adolescents : « Madame, vous savez à Birkenau on était tristes faut pas croire. » Voilà une pièce nécessaire qui nous questionne sur notre façon de regarder et donc de penser le monde.
Laurence Cazaux
Michelle, doit-on t’en vouloir d’avoir fait un selfie à Auschwitz de Sylvain Levey
Éditions Théâtrales Jeunesse, 64 p., 8 €