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En grande surface Gus de Nice

janvier 2018 | Le Matricule des Anges n°189 | par Pierre Mondot

Cet automne, un plumitif désœuvré poste à l’adresse de plusieurs maisons d’édition les trente premières pages d’un récit de Claude Simon daté de 1962. Dix-neuf d’entre elles le refusent. L’homme s’offusque. Veut voir dans ce prix Nobel éconduit l’indice sûr du déclin des Lettres françaises, la marque d’une victoire définitive du mercantilisme sur la création, du triomphe de l’argent sur l’art ; on aurait pu rassurer l’indigné en considérant que Gallimard publiait encore Le Clézio, preuve que les lauréats de l’académie suédoise n’étaient pas tous menacés d’extinction.
La carrière de l’écrivain niçois paraît épouser une trajectoire comparable à celle du chanteur Antoine. Une ou deux fois par décennie, le voilà qui délaisse soleils mouillés et ciels brouillés pour remonter dans l’Hexagone et écouler ses cartes postales. Il était ainsi de retour en septembre avec Alma et d’inédits panoramas de Maurice.
Deux narrateurs mènent le récit. Le premier, Jérémie Felsen quitte la promenade des Anglais pour Port-Louis au prétexte d’une enquête paléo-ornithologique. Il se lance sur les traces du dodo, espèce disparue autrefois célébrée par Lewis Carroll et sorte de pendant ignoble de l’albatros baudelairien : ses ailes atrophiées l’empêchent de voler. Sur cette recherche se greffe une quête généalogique : la famille Felsen est originaire de l’île. En chemin, le personnage tombe amoureux de Krystal, une adolescente farouche qui se prostitue occasionnellement avec un pilote de ligne. On ne dénoncera jamais assez les ravages du tourisme sexuel. Un peu plus loin, il rencontre Amiti, une jeune Indienne victime d’un viol qui décide de partir seule mettre au monde son enfant dans un lac au cœur de la forêt. On ne louera jamais assez les vertus de l’accouchement aquatique.
Le second narrateur est un lointain cousin du premier : Dominique Felsen, alias Dodo. On avertit le lecteur que la répétition entêtante de ces deux syllabes, entendues comme une injonction, ne va pas sans provoquer quelques phases de narcolepsie. Il s’agit d’un vagabond cultivé et mélomane, fantasme bourgeois, et variante moderne du bon sauvage. Dodo joue du Schubert (Auld Lang Syne, « Ce n’est qu’un au revoir » en VF), mais chante faux. Pour incarner le soliloque de son clochard magnifique, déjà démarqué par une écriture italique, Le Clézio abuse des stylèmes de l’ingénuité : parataxe, réduction de la conjugaison au seul présent et périphrases censées contourner le lexique déficient du bonhomme. Ainsi, lors de son dépucelage : « Il fait très chaud chez Zobeide, même si je n’ai plus de vêtements, j’ai la peau mouillée de sueur, la peau de Zobeide est sèche, elle brille à la lumière du jour, elle est couleur de terre rouge à cause des rideaux, elle a les bouts des seins très durs, elle me guide à l’intérieur de son ventre, c’est doux et chaud, je me sens bien, je crie quand le liquide sort de moi… » (en huit lettres, on pouvait aussi dire « éjaculer »). On devine au-dessus du pantin non seulement les fils, mais la main et la montre du démiurge.
Pile au mitan du livre (un travail d’orfèvre), Dodo s’envole pour la France. Et marche. Jusqu’à Nice. Et à la fin, comme dans les meilleurs scénarios de Claude Lelouch, Jérémie se rappelle avoir croisé son cousin dans les rues de la ville lorsqu’il était jeune homme, « mais il a continué son chemin et moi je l’ai laissé partir ». C’est ça qui est triste. JMG a toujours été plus cosmique que comique.
À la fin du siècle dernier, les enseignantes de lettres à paupières bleutées et montures demi-lune adulaient Le Clézio. Elles achetaient des cartes de vœux à l’Unicef, s’abonnaient à GEO, parrainaient des baleines et se pâmaient à la lecture de Désert ou d’Onitsha. Le lyrisme océanique de l’écrivain éveillait l’heureux souvenir de randonnées en Ariège. Elles en ronéotypaient des extraits à la chaîne à l’intention des classes de collège. Une manne pédagogique : une infinité de thèmes et des champs lexicaux luxuriants. Malgré l’odeur d’alcool qu’exhalait le papier, les élèves bâillaient. La littérature, qu’on leur vendait comme un incomparable moyen d’évasion, les conduisait toujours moins loin qu’une mobylette.
Depuis, l’essor des vols low cost et la multiplication des enseignes Nature et découverte dans nos galeries marchandes semblent avoir quelque peu entamé le succès de l’auteur.
« Monsieur, votre livre est un chef-d’œuvre. Et en plus, il est plein de dictées » : c’est par ces mots qu’un vieil instituteur à la retraite avait autrefois fait part de son admiration à l’auteur de La Gloire de mon père.
À l’heure où le ministre Blanquer promet pour la rentrée prochaine un exercice d’orthographe quotidien aux écoliers français, il se pourrait que Jean-Marie-Gustave, Pagnol tropical, retrouve une seconde jeunesse.


Pierre Mondot

Gus de Nice Par Pierre Mondot
Le Matricule des Anges n°189 , janvier 2018.
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