La lettre de diffusion

Votre panier

Le panier est vide.

Nous contacter

Le Matricule des Anges
ZA Loup à Loup 83570 Cotignac
tel ‭04 94 80 99 64‬
lmda@lmda.net

Connectez-vous avec les anges

Vous n'êtes actuellement pas identifié. Pour pouvoir commander un numéro, un abonnement ou bien profiter, en tant qu'abonné, des archives en ligne, vous devez vous connecter avec votre compte.

Retrouver un compte

Vous avez un compte mais vous ne souvenez plus du mot de passe ? Vous êtes abonné-e mais vous vous connectez pour la première fois ? Vous avez déjà créé un compte, peut-être, vous ne savez plus trop ?

Créer un nouveau compte

Vous inscrire sur ce site Identifiants personnels

Indiquez ici votre nom et votre adresse email. Votre identifiant personnel vous parviendra rapidement, par courrier électronique.

Informations personnelles

Pas encore de compte?
Soyez un ange, abonnez-vous!

Vous ne savez pas comment vous connecter?

Domaine étranger Jamais sans Buran

juin 2018 | Le Matricule des Anges n°194 | par Éric Dussert

Neveu du célèbre réalisateur de Stalker, Mikhaïl Tarkovski raconte la vie des chasseurs solitaires dont il partage avec bonheur l’indépendance et la vie rude.

Il n’y a pas de Sibérie sans Buran (prononcer Bourane), pas plus qu’il n’y a de Sahara sans Méhari. La Bourane, marque déposée, « Tempête de neige » en français, c’est la motoneige indispensable. Sans elle, on ne survit pas dans des espaces aussi hostiles. Aucun déplacement en hiver, plus un être humain dans les espaces glacés de Sibérie. Parce que la Buran est le véhicule et la bête de somme sibérienne. On la retrouve dans plusieurs James Bond, mais surtout dans toutes les littératures de grand froid. Pour la seule Sibérie, Victor Remizov nous en a pris à son bord dans son premier roman Volia Volniaia (Belfond, 2017), et il n’est pas récit moderne sans ce destrier des neiges et des glaces. L’historien autrichien Eric Hoesli en dit quelque chose tandis qu’il retrace dans les grandes largeurs l’étonnante Épopée sibérienne. La Russie à la conquête de la Sibérie et du Grand Nord (Éditions des Syrtes-Paulsen, 832 pages, 33 ), cette autre ruée vers l’or qui s’est produite très singulièrement dans le sens de la rotation de la terre – en général les transferts de population s’effectuent dans le sens inverse…
Avec Mikhaïl Tarkovski, on retrouve le splendide isolement que les gars de Remizov allaient chercher en pleine forêt. En prétendant chasser, ils chérissent la solitude et sa sœur la liberté. Chez Tarkovski, neveu du célèbre cinéaste et petit-fils du poète Arseni Tarkovski, on est frappé par l’équilibre entre ses deux pôles : le bien-être de l’indépendance et le goût de retrouver de temps à autre des êtres vivants, en particulier des femmes, dans le petit village de Bakhta. Installé au bord du fleuve Ienisseï qui prend sa source en Mongolie et débouche dans l’océan Arctique, Mikhaïl est un solitaire. Il a été élevé par la mère du cinéaste et, après avoir suivi des études de biologie, a tourné le dos à la civilisation, à l’instar des familles que montre Braguino, le très beau documentaire de Clément Cogitore (2017). La journée, il chasse, négocie des peaux, la nuit il se protège du froid dans sa cabane il taille les histoires qu’il met dans ses livres. Le premier est désormais traduit en français : Le Temps gelé.
Gelé ne signifie ni mort ni perdu. Le Temps gelé de Mikhaïl Tarkovski est le moment d’une existence dont les épisodes sont chargés d’anecdotes, de fêtes, de traques, d’ennuis mécaniques, des bons plats composés par les vieilles femmes au village, et à cette sempiternelle vodka sans laquelle on dirait que le monde ne tourne plus rond – mais à cause de laquelle un accident mortel n’est jamais loin… On est loin cependant des cauchemars de la drogue d’un autre Sibérien, urbain celui-ci, Andreï Doronine, dans son terrible mais cocasse Transiberian back to black (Lmda N°193). On est frappé par la douceur de Tarkovski, à sa tendresse pour les êtres et le monde. La nature lui convient, il s’y trouve en harmonie et nous la raconte par nouvelles simples et profondes. Bien sûr, cette nature sait se montrer particulièrement hostile, et elle ne lui facilite pas toujours la vie, mais il sait s’y prendre et trouve avec ses pairs solitaires des terrains d’entente. Avec les femmes, c’est plus compliqué. Elles sont rares et ont tendance à fuir vers les villes, plus confortables, plus intégrées au vaste résonnement du monde. L’homme se contente alors de rêves simples car il sait pouvoir les atteindre. La solitude lui a appris à tendre avec sagesse et humilité vers son destin d’homme libre qui, toujours, chérira la taïga. « Alors qu’il assouplissait les zibelines, il pensait à la taïga où, s’il arrive quelque chose, on ne peut s’en prendre qu’à soi-même. Il pensait à ses cabanes vides et esseulées, au méandre de la rivière et à sa haute rive, à ses eaux libres qui fumaient, à ce qui était une semaine auparavant à l’arrière-fond de l’âme. Vivement que Vovka grandisse… Il imaginait qu’il irait chasser avec son fils, il lui montrerait ses lignes de trappe, dans un an ou deux il lui donnerait une cabane, et à l’automne, sans faute, il dormirait avec lui dans la taïga – dans ce monde que l’on peut encore ordonner de ses propres mains. »

Éric Dussert

Le Temps gelé, de Mikhaïl Tarkovski
Traduit du russe par Catherine Perrel,
Verdier, 160 pages, 17

Jamais sans Buran Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°194 , juin 2018.
LMDA papier n°194
6,50 
LMDA PDF n°194
4,00