Vous en rêviez : un cunnilingus lesbien dans l’au-delà. C’est la scène d’ouverture du roman de cette Finlandaise né en 1976, qui par ailleurs achève une thèse sur Nathalie Sarraute. Nul doute cependant que l’onirique romancière soit plus captivante que son modèle. Dans la mythologie grecque, les Oneiroi sont des déesses du rêve. L’on n’est pas sûr que les sept héroïnes de Laura Lindstedt soient à ce point divines, tant elles sont humaines, y compris après leur mort, lorsqu’elles se retrouvent sans savoir pourquoi dans un lieu parfaitement blanc : « Je vis ! plus de douleurs ! », dit l’une d’elles. En un nouvel Heptaméron, elles se racontent leurs histoires, dans un temps qui n’a plus les mêmes dimensions, pour se décharger des frasques et épreuves de leurs existences. Ce sont une comptable moscovite, une « performeuse » new-yorkaise, une Sénégalaise, une retraitée cancéreuse, une Marseillaise enceinte qui accouche de jumeaux alors qu’elle est en « état de mort cérébrale », une jeune mère brésilienne et greffée du cœur, une adolescente de Salzbourg violée. Malgré leurs différences considérables, une sorte d’« unanimité » se met à poindre. Jusqu’à l’effacement définitif…
Un art de la composition original anime ce roman démesurément fantastique : récits emboîtés, dont l’histoire « du jeune homme qui s’imaginait être mort », faire-part de deuil, conférence sur « Judéité et anorexie », coupures de journaux sur un « otage finlandais enlevé au Mali », performances artistiques (une des activités de l’auteure) comme la « victoire de la faim sur l’art », voilà qui plonge le lecteur dans un faisceau de perplexités revigorantes. L’écriture de cette « danse macabre » est volontiers ironique, en une satire enlevée de nos mœurs et de nos espérances : cet au-delà de la condition féminine n’est que la singerie de nos vies, de nos oppressions et de nos tragédies.
Thierry Guinhut
Oneiron de Laura Lindstedt
Traduit du finnois par Claire Saint-Germain, Gallimard, 448 pages, 24,50 €
Domaine étranger Oneiron
juin 2018 | Le Matricule des Anges n°194
| par
Thierry Guinhut
Un livre
Par
Thierry Guinhut
Le Matricule des Anges n°194
, juin 2018.