Stefan Hertmans, l'Europe au cœur
Le temps aura manqué. Ou le désir de Stefan Hertmans d’en dire plus sur son œuvre, sur l’écriture. Mais peut-être les livres se suffisent-ils à eux-mêmes ? Après la lecture de ses livres traduits en français, on avait quand même envie d’en savoir plus. On était convenu d’envoyer les questions par mails avant et après notre rencontre au Cirio. Mais les réponses – écrites directement en français – à nos questions ne venaient qu’au compte-gouttes et on avait beau secouer notre ordinateur, aucun mail caché venu de Belgique ne sortait de l’Apple. Commencée au début des vendanges, celles-ci achevées, la récolte n’était pas aussi fructueuse qu’on l’aurait souhaité. Mais les livres sont là, qui offriront à chaque lecteur, de quoi largement nourrir l’esprit et le cœur.
Stefan Hertmans, votre nouveau roman Le Cœur converti se clôt par l’indication traditionnelle où vous indiquez « Monieux, septembre 1994-2016 ». Ces vingt-deux ans correspondent-ils à vingt-deux ans d’écriture ou à la naissance du projet, au travail de documentation puis à l’écriture ?
Disons que ces vingt-deux ans indiquent la période pendant laquelle cette histoire était en train de naître en moi, dans ma vie, même sans que je puisse le soupçonner – 1994 est l’année où mon épouse et moi avons trouvé la maison dans ce petit village (Monieux dans le Vaucluse, ndlr). Quelques années plus tard, j’ai pris connaissance de l’article de Norman Golb, qui a suscité ma curiosité. Vous avez sans doute remarqué la dédicace au début du livre : « Pour la femme qui embrassa une maison… » C’était bien mon épouse, éprise des charmes du village, de l’environnement, de l’atmosphère de cette vallée – le début est marqué par ce geste d’amour pour la vie qu’on allait entamer là-bas.
Est-ce à dire qu’aujourd’hui, pour mener à bien l’écriture d’un roman, vous avez besoin que son sujet touche directement à votre vie ? Que vous y soyez engagé d’une manière ou d’une autre ?
Non pas forcément ; ça s’est produit de cette façon pour ce roman, le suivant sera peut-être tout autre… Quant à la question du rôle d’éléments autobiographes dans un roman, je pense que chaque auteur, même dans un roman quasi entièrement fictif, empruntera des scènes, des souvenirs, des impressions qui appartiennent à son propre champ existentiel d’expériences, que ce soit Kafka ou Philip Roth. Mes deux derniers romans sont effectivement construits autour des documents réels, Guerre et térébenthine autour des mémoires de mon grand-père, Le Cœur converti autour de ce fameux document juif d’il y a mille ans. Cela m’a donné l’opportunité d’aller à la recherche, de mener le projet comme une sorte d’enquête. Mais il faut toujours compter que même dans un roman fondé sur des documents, il faut d’abord l’imagination pour les raviver, pour les concrétiser, pour souder les événements dans une narration crédible et attirante pour le lecteur. Dans mes romans antérieurs, ce rôle des données était plus discret, mais...