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Domaine étranger Le désamour fou

novembre 2018 | Le Matricule des Anges n°198 | par Thierry Cecille

Qu’arrive-t-il quand deux poètes s’aiment ? La romancière néerlandaise Connie Palmen retrace la passion de Sylvia Plath et Ted Hugues.

Ton histoire, mon histoire

La fausse autobiographie ou les mémoires fictifs sont un genre littéraire peu pratiqué, plus périlleux encore s’il s’agit de personnages presque contemporains et non, comme le fit Marguerite Yourcenar, d’un empereur romain mort il y a près de deux mille ans. Connie Palmen prend ce risque afin de donner la parole à celui qui s’est tu, à celui qui a dû, des années durant, supporter que vive à ses côtés ou même prenne sa place l’image faussée, caricaturale qu’on donnait de lui : Ted Hugues, le cruel mari adultère qui aurait provoqué la mort de la femme trompée, Sylvia Plath. Dès l’annonce de son suicide, il pressent qu’il va devenir un « hors-la-loi » et subir « l’ordalie d’une horde hystérique en quête d’un bouc émissaire ». Ragots et commérages des proches cèdent peu à peu la place aux légendes des biographes : « Ces trente-cinq dernières années, j’ai été l’otage muet de son mythe, enfermé dans un mausolée où j’étais exposé comme relique d’une union tragique (…) nous sommes devenus inséparables dans l’imaginaire de millions de gens qui s’invitaient dans notre histoire (…) des versions sombres de nous-mêmes, des personnages taillés dans le marbre d’un récit passionnel d’où aucune échappatoire n’était possible ».
Connie Palmen va donc permettre à Ted Hugues de donner sa version de ce qui fut bien une tragédie – d’amour et de poésie, de désir et de souffrance, de jeunesse et de mort à la fois. Son écriture est précise, acérée et pourtant également imagée, métaphorique. Elle indique que les œuvres de Ted Hugues ont été pour elle une « source d’inspiration indispensable » et son dernier recueil, en particulier les Birthday Letters, le « fil rouge » de cette entreprise. Sans doute s’est-elle également imprégnée des textes de Sylvia Plath.
Nous sommes ainsi, dès les premières pages, plongés dans l’univers propre à ce duo, un monde dans lequel la création poétique, l’écriture, imprègne le quotidien, où chaque geste, chaque émotion peut devenir l’objet d’un poème, comme si l’existence tout entière était une sorte de carrière où trouver de quoi sculpter les blocs de mots dont on veut bâtir une œuvre. L’un et l’autre, en effet, veulent s’exprimer, parvenir à dire ce qui les meut, les emplit d’espoir ou les tourmente. Sylvie Plath, cependant, est la proie de démons que Hugues considère d’abord avec une confiance pleine d’amour puis, progressivement, avec un étonnement douloureux, une inquiète fascination, puis un effroi radical. Elle doit se débattre entre le fantôme d’un père, les jugements toujours anticipés et craints d’une mère, l’angoisse de la page blanche et la mort comme à l’affût. Elle oscille entre la croyance en sa mission poétique et la dépression. Leur vie commune fut relativement courte mais ils eurent deux enfants, qui deviendraient des orphelins quand leur mère eut décidé, à l’âge de 30 ans, en février 1963, de mettre fin à ses souffrances en s’endormant la tête posée dans un four d’où le gaz s’échappait.
« Ces six années semblaient une éternité aussi bien qu’un instant » et Ted Hugues se les remémore en même temps qu’il tente de se frayer un chemin pour les comprendre. Comment cette espèce de fée sauvage – son premier baiser fut plutôt une morsure – comment cette sorcière « lettrée et en rut » a-t-elle pu devenir cette femme constamment blessée et refusant qu’on lui porte secours ? C’est que le couple est devenu un piège qui s’est lentement refermé sur eux, une prison commune : « J’étais dépendant du besoin que ma femme avait de ma proximité tangible ». Hugues commence à rencontrer un certain succès, qu’il lui doit en partie : « Elle m’a libéré de tout ce qui entravait le cours de mon écriture (…) elle était une brise vivifiante qui chassait de son souffle la léthargie poussiéreuse de l’oisiveté » – mais elle supporte mal ce succès, une jalousie insidieuse vient s’ajouter aux doutes qu’elle ne cesse d’entretenir sur ses propres forces littéraires. Donner naissance à des enfants ne lui apporte pas non plus la joie espérée, ne peut ni la consoler ni la consolider : « Son désespoir grandissant suintait jusqu’à moi à travers les murs de la chambre et, en retour, mon humeur chaque jour plus maussade l’enfonçait davantage dans la déréliction ».
Ted Hugues rencontre une autre femme, qui devient sa « Lilith », sa « muse noire » : « Ce n’était peut-être pas le fait d’être amoureux, mais le désir de répondre à la joie sauvage que cela me procurait qui, pour la première fois depuis des mois, me rendait à la poésie, à mes émotions ». Il pourra écrire de nouveaux poèmes – mais Sylvia Plath, elle, choisit le silence définitif : « Plus encore que la couleur jaune cireuse de son visage soudain émacié, ce qui m’a convaincu que je ne pourrais pas la ramener de chez les morts, c’était l’immobilité inhabituelle de son visage adoré, d’où toute attention, toute tension avait disparu. Même dans son sommeil, je ne l’avais jamais vue aussi paisible ».

Thierry Cecille

Ton histoire, mon histoire,
de Connie Palmen
Traduit du néerlandais (Pays-Bas) par
Arlette Ounanian, Actes Sud, 270 p., 22

Le désamour fou Par Thierry Cecille
Le Matricule des Anges n°198 , novembre 2018.
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