La littérature nous sauvera
- Présentation Le continent de tous les continents
- Autre papier La Place d’Annie Ernaux par Martine Laval
- Autre papier Mais demain ? par Didier Garcia
- Autre papier Rosie Carpe de Marie NDiaye par Chloé Brendlé
- Entretien Inventer dans un monde abîmé
- Autre papier Que font les rennes après Noël ? d’Olivia Rosenthal par Valérie Nigdélian
- Autre papier Carnet - journal, lettres d’Hopkins par Emmanuel Laugier
- Autre papier Bois sec bois vert de Charles-Albert Cingria par Richard Blin
- Autre papier L’Accordeur de silences de Mia Couto par Catherine Simon
- Entretien Rendez-vous avec l’Histoire
- Autre papier Le prochain par Camille Decisier
- Autre papier Le Bâtiment de pierre d’Aslı Erdoğan par Emmanuelle Rodrigues
- Autre papier Le Traître d’André Gorz par Blandine Rinkel
- Entretien Le passeur d’ombres
- Autre papier Nocturne du Chili de Roberto Bolaño par Dominique Aussenac
- Entretien Une faim qui agrandit le monde
- Autre papier Méridien de sang de Cormac McCarthy par Lionel Destremau
- Autre papier Le livre dont vous êtes le héros
- Entretien Mots croisés
- Autre papier R. de Céline Minard par Eric Dussert
- Autre papier Journal d’André Gide par Patrick Gay-Bellile
- Entretien Les mobiles de Pierre Bayard
- Autre papier L’Acacia de Claude Simon par Thierry Cecille
- Autre papier Marelle de Julio Cortázar par Guillaume Contré
- Entretien Le ciel dans la boue
- Autre papier Austerlitz de W.G. Sebald par Christine Plantec
- Autre papier 2666 de Roberto Bolaño par Eric Bonnargent
- Autre papier L’Amérique m’inquiète de Jean-Paul Dubois par Virginie Mailles Viard
- Entretien L’appel de l’ailleurs
- Autre papier Retrouvailles par Anthony Dufraisse
- Autre papier Explication des oiseaux d’Antonio Lobo Autunes
- Autre papier Le Bateau-usine de Kobayashi Takiji par Franck Mannoni
- Autre papier Marelle de Julio Cortázar par Guillaume Contré
J’ai rencontré Mia Couto en anglais, à Nairobi, à la fin des années 1980, via une médiocre traduction de La Véranda au frangipanier. Correspondante en poste au Kenya, je m’apprêtais à m’envoler pour mon premier reportage au Mozambique. Il fallait me nourrir. Je lus donc Mia Couto, par hasard – c’était le seul nom d’un écrivain mozambicain, que j’avais repéré dans la librairie où j’avais mes habitudes. Une écrivaine, en l’occurrence. Car Mia Couto était une femme, j’en étais sûre. Moins connue que Mia Farrow, that’s all.
Il me fallut du temps, à patauger dans la boue fabuleuse de la guerre, avec ses mutilés et ses bouis-bouis en ruine, où seuls les murs gardent la trace, sous la forme de dessins naïfs, de poulets frits et d’assiettées de riz, avec ses odeurs de charnier, ses fous en haillons, ses ciels plus gros que la mer, ses femmes devenues pierres et ses champs délaissés (à cause des mines), il me fallut du temps avant de prendre pied dans l’œuvre de Mia Couto. Cela se fit grâce à L’Accordeur de silences, superbement traduit par Élisabeth Monteiro Rodrigues, deux ans après sa parution en portugais. La boue fabuleuse de la guerre ? Oui. Cette atrocité majuscule, dont les Européens ont presque oublié l’odeur, habite la tête et le corps des gens du Mozambique. Autant que le soleil et le plaisir de vivre. En littérature, cette boue fabuleuse s’appelle Mia Couto. Né en 1955 dans ce coin d’Afrique colonisé par le Portugal et ravagé par des décennies de conflits, ce Mozambicain blanc, biologiste de formation, est un conteur hors pair. Ses histoires, pleines d’énigmes et de secrets, accusent et consolent. L’Accordeur de silences reste ma préférée. Je l’ai souvent relue, comme je relis Les Vagues de Virginia Woolf. Thriller poétique/politique, où s’entrelacent des langues et des modes de récit venus d’Afrique et d’Europe, mais aussi du Brésil, cet étrange huis clos familial tient en haleine le lecteur le plus paresseux. Je l’ai offert à mes proches et à mes amis. Qui l’ont offert etc. Ainsi font les grands livres, non ?
* Métailié, 2011