Aharon Appelfeld : mémoire et murmure
En France, nous ne connaissons – et ce avant tout grâce à sa traductrice Valérie Zenatti – qu’une partie de l’œuvre d’Aharon Appelfeld. Les très nombreuses nouvelles qu’il écrivit durant la première étape de son parcours, des volumes d’essais et un certain nombre de romans n’ont pas encore été traduits. Michèle Tauber, professeure à Paris 8, spécialiste de l’hébreu et du yiddish, a consacré sa thèse de doctorat, précisément, à ces nouvelles. Elle nous fait entendre la voix d’Aharon Appelfeld dans toutes ses inflexions.
Comment définiriez-vous la position d’Aharaon Appelfeld entre roman et autobiographie ? Qu’en est-il chez lui de cette alchimie difficile ?
En premier lieu Aharon Appelfeld s’est toujours défendu d’écrire une autobiographie qui supposerait une relation des événements tels qu’ils se sont réellement passés. L’écrivain a plus d’une fois déclaré qu’il se refusait à faire une chronique personnelle de ce qu’il a vécu pendant la Seconde Guerre mondiale. Parler de la Shoah ne peut se faire qu’à travers l’Art, affirme-t-il. Appelfeld tente de retranscrire la brûlure laissée par la Shoah en créant des personnages qui ont vécu une expérience similaire à la sienne ou à celle des hommes et des femmes qu’il a croisés pendant la guerre et sur la route de la Palestine. L’essentiel pour lui repose dans les détails qui échappent au regard. À partir des gens qu’il a croisés sur sa route, l’écrivain forge des personnages légèrement décalés, telle Tsili, cette toute jeune fille de 12 ans au début du roman éponyme (1983), qui emprunte plus d’un trait au petit Erwin-Aharon.
Pour quelles raisons refuse-t-il d’être présenté comme un écrivain de la Shoah ?
Je laisserai Aharon Appelfeld répondre lui-même à cette question : « La littérature de la Shoah est liée à une évocation sentimentale des souvenirs de la Shoah, à une chronique des événements faite sur un mode larmoyant. De ce point de vue-là, je ne suis pas un écrivain de la Shoah. » Et il est vrai que contrairement à des auteurs comme Elie Wiesel ou Primo Levi, Appelfeld ne dépeint jamais le « feu » de la Shoah, comme il le dit lui-même. Ses personnages sont souvent des rescapés qui doivent se réadapter à un monde qui a perdu son langage d’avant : la difficulté étant de trouver un langage adéquat à leur condition. D’autres sont des combattants, comme dans Les Partisans (2012) ou Et la fureur ne s’est pas encore tue (2008), mais c’est le combat spirituel qui est au centre du roman et non pas les affrontements entre les Juifs et leurs exterminateurs. Toute une vie (2007), un roman encore inédit en français, qui se situe au cœur de la guerre, relate le parcours initiatique d’une jeune fille, Helga, à la recherche du camp de concentration où sa mère a été déportée. À aucun moment Appelfeld ne pénètre dans le camp, le lecteur n’en a que des échos. Tout le récit se concentre sur l’évolution intérieure d’Helga et les rencontres juives et chrétiennes qui...