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Domaine étranger La guerre se joue deux fois

septembre 2019 | Le Matricule des Anges n°206 | par Éric Dussert

Plaidant pour les vaincus et les déracinés, le romancier Viet Thanh Nguyen réclame le respect des morts et espère l’apaisement des vivants.

Jamais rien ne meurt

Il y a quarante-quatre ans Saigon passait aux mains du Viet-Cong. L’événement historique a pris plusieurs noms. Pour les communistes victorieux, c’est le « Jour de réunification ». Pour les Américains, c’est la « Chute de Saigon ». Pour les Vietnamiens qui luttaient aux côtés de ces derniers, c’est « le jour où nous avons perdu le pays », illustration du Vae victis obstinément infligé aux vaincus. Pour ces derniers, exilés aux USA ou dispersés à travers le monde, c’est un jour de deuil que ce 30 avril. Le romancier et essayiste Viet Thanh Nguyen est attaché à réveiller la mémoire de certaines victimes du conflit dont, dans un même mouvement d’indifférence, les héritiers du Viet-Cong et des officiels de l’Amérique affligée, effacent sans vergogne la mémoire.
Démontrant que les guerres se remportent ou se perdent plusieurs fois, Viet Thanh Nguyen revient sur la bataille, explicite le discours sur la bataille, et, pour finir impose le souvenir des morts – et de tous les morts. Ce sont, clairement, les enjeux de son engagement littéraire réitéré. Loué pour son roman Le Sympathisant (Belfond, 2018), il y retraçait son parcours personnel du Saigon de 1975 alors en plein chaos – il avait 5 ans – au Los Angeles des années 1980 pacifié et bénéfique où il trouve à se former – il est diplômé de Berkeley. Sa vie et ses pensées d’exilé nourrissent ses livres avec élégance et beaucoup d’intérêt.
À l’heure où les réfugiés économiques, climatiques, politiques signalent comme ils le peuvent leur présence, la double publication des nouvelles de Réfugiés et d’un essai sur la prise en compte historique, politique et culturelle de la guerre du Vietnam résonne avec beaucoup de pertinence. D’autant que sont nombreux les fantômes qui demandent réparation ou l’aumône d’une pensée. Les fantômes, c’est la spécialité de la vieille mère de la narratrice de la première nouvelle qu’elle distribue sous forme d’histoires : « Il y avait aussi les histoires terrifiantes, par exemple celle du journaliste, dont la morale était que la vie, comme la police, aime taper sur les gens de temps en temps. Pour finir, il y avait aussi ses histoires favorites, les histoires de fantômes. Elle en connaissait beaucoup, certaines de première main. (…) Parmi les habitants de notre pays, on trouvait la moitié supérieure d’un lieutenant coréen, propulsé par une mine dans les branches d’un hévéa ; un Noir américain scalpé qui flottait dans la rivière, non loin de son hélicoptère abattu, et dont les yeux et la demi-lune exposée de son cerveau luisaient au-dessus de l’eau ; et un soldat japonais décapité cherchant sa tête dans les maniocs. » Et puis il y a le frère de la narratrice qui attend devant la porte, détrempé par cette mer où il a coulé il y a bientôt cinquante ans…
L’écrivain se montre particulièrement inspiré par les histoires des familles, comme celle de M. Ty dont les Viet-Cong ont fait un citoyen discret et qui reçoit sa fille, émigrée avec sa mère aux États-Unis… « Pendant la guerre, il avait possédé une usine de chaussures, une maison de plage à Vung Tau et une Citroën avec chauffeur. Les photos de l’époque montraient un homme élégant, cheveux gominés et moustache fine. À présent, d’après ce que voyait Phuong, il portait sa tristesse et son abattement dans une bedaine à peine contenue par les boutons de sa chemise trop petite. »
Ce terrible décalage des êtres qui ne peuvent plus être proches, fantômes à eux-mêmes et aux autres, est peut-être le même que celui qui s’est instauré entre la réalité de la guerre du Vietnam et son image hyper-exploitée par l’industrie culturelle. Dans son essai Jamais rien ne meurt, le romancier fait le point sur l’histoire du conflit telle qu’elle a été bâtie par les romans de différentes langues (Le Chagrin de la guerre de Bao Ninh par exemple), les récits (Putain de mort, du journaliste américain Michael Herr), les institutions (le mausolée des soldats américains morts au combat conçu par Maya Lin), le cinéma, etc. Le constat s’impose : les soldats Hmong, y compris leurs généraux, ont été plus que négligés par l’armée américaine, terrible machine sans cesse à la recherche d’un champ de bataille où gronder, au mépris de ses alliés occasionnels.
À travers la saturation d’images sur ce conflit – qui dure toujours puisque ses mines et les armes chimiques répandues tuent aujourd’hui encore la population locale –, Viet Thanh Nguyen démontre qu’il convient de replacer ses acteurs dans l’Histoire. Il est temps enfin, nous dit-il, de nous méfier de films comme Apocalypse Now qui paraît, au-delà de ses qualités artistiques, un parfait outil de magnification de la guerre. C’est à ses yeux une ode à Moloch, elle démontre que la guerre fascine et ne cesse pour cette raison de renaître, trop parfait exercice des forces viriles de la civilisation, au mépris des faibles et des vaincus. Éric Dussert

Les Réfugiés, traduit de l’américain par Clément Baude et Jamais rien ne meurt, traduit de l’américain par Valérie Bourgeois, de Viet Thanh Nguyen, Belfond, 208 et 414 pages, 20 chaque

La guerre se joue deux fois Par Éric Dussert
Le Matricule des Anges n°206 , septembre 2019.
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