Vincent Message, anatomiste de nos vies
On avait bien l’intention d’évoquer avec lui, chacun des romans ainsi que l’essai que Vincent Message à ce jour affiche dans sa bibliographie. On savait qu’il faudrait alors replonger dans ses livres, équipé d’un bulldozer imaginaire pour tailler dans l’épaisseur des fictions de larges routes à emprunter avec lui. On avait, devant nous, les 450 pages de cette histoire contemporaine que son nouveau roman explore par couches, strates, thématiques multiples mais dans un seul mouvement, un seul souffle, qui dépose le lecteur au cœur d’une émotion brute à laquelle il pensait pouvoir échapper. On était donc devant un mystère : comment cette mécanique aux mille pièces, cette architecture à la fois complexe et transparente, comment le constat d’un capitalisme technocratique pouvaient-ils nous jeter sur le cul, hagards d’avoir dans un même mouvement tutoyer le banal de nos vies, leur grandeur et mis le doigt sur une blessure que l’écriture ou l’art peuvent, seuls, cautériser ? Tout entier habité par la figure de Cora, on a voulu d’abord comprendre comment ce troisième roman était né, comment il s’était construit. Comment cet organisme de mots pouvait à ce point sembler vivant ? On croyait, naïvement, pouvoir ensuite remonter aux autres livres. On avait oublié qu’on ne disposait ni d’un siècle, ni de dix mille pages pour réaliser cela. Mais Vincent Message est un très jeune romancier : on sait donc qu’on aura l’occasion de poursuivre avec lui une conversation dont voici l’entame.
Vincent Message, votre nouveau roman, Cora dans la spirale raconte, notamment, l’évolution d’une grande compagnie d’assurances, au départ familiale, qui va épouser au XXIe siècle une idéologie technocratique (certains diraient comptable) du management, des ressources humaines. Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire sur ce sujet à la fois économique et social, et plus particulièrement sur les années de crise 2008-2012 (même s’il est dit dans le livre que nous n’avons jamais cessé d’être en crise depuis 1973) ?
Le roman a pris forme dans mon esprit précisément pendant ces années-là, alors que les médias bruissaient des nouvelles de la crise des subprimes et s’inquiétaient des conséquences qu’elle allait avoir sur l’économie mondiale – à la façon d’une pierre qui tombe dans un étang et y répand ses cercles concentriques. Je me suis rendu compte que les vies qui allaient être affectées étaient très peu représentées dans la littérature française – que l’entreprise de services, notamment, en était quasiment absente. C’est pourtant le théâtre majeur de l’existence de dizaines de millions de personnes à la seule échelle de la France. Ma génération arrivait à ce moment-là dans la vie active et confrontait ses rêves à la réalité souvent désagréable du marché du travail. Pour ceux qui, comme Cora ou moi-même, sont nés au début des années 1980, l’appréhension de l’histoire récente se joue en effet en partie autour de ce mot de crise : on a cru longtemps qu’on...