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Domaine étranger Une enquête en fragments

novembre 2019 | Le Matricule des Anges n°208 | par Guillaume Contré

L’écriture virtuose de l’Argentin Juan José Saer sert d’écrin à un récit policier où s’agitent les forces brutes du réel et de l’inconscient.

Si ce roman de 1994 n’atteint pas les sommets de certaines des œuvres précédentes de Juan José Saer telles que Glose ou L’Ancêtre (toutes deux rééditées par Le Tripode, qui continue son travail salutaire de récupération d’un auteur essentiel des lettres argentines), ce texte n’en reste pas moins une belle démonstration de la profondeur de champ à laquelle la prose de l’écrivain du pays austral, à la fois virtuose et sensible, est capable d’accéder.
L’Enquête du titre est en réalité double, de même que les crimes atroces qui y sont commis pourraient bien avoir plus d’une explication. Il s’agit pour Saer de s’essayer au roman policier ou, du moins, d’en reprendre certains codes – le tueur en série, le détective aussi solitaire qu’intègre, un mystère à résoudre à partir d’une série d’indices disséminés tout au long du récit – et de les insérer dans ce qui constitue les limites habituelles de son univers romanesque. Des limites qui n’ont rien d’une limitation mais définissent plutôt un espace géographique (le lieu de naissance de l’auteur, la ville de Santa Fe et ses environs) et un certain rapport au réel, empreint d’une curieuse forme de négativité lyrique. Quelque chose de l’ordre d’un empirisme de la matière – la seule chose dont nous sommes faits – et d’une fascination incrédule face aux cycles de la nature, toujours disposés à se répéter sans rime ni raison.
« Le monde est comme une masse visqueuse qui se déploie, imperceptible, et l’être englué dans cette matière incolore non seulement ne se débat pas mais semble accepter, seul choix possible, progressif, l’enfoncement. »
On retrouvera donc ici les traits essentiels d’une poétique qui flirte avec le nihilisme mais parvient toujours à le contourner par la beauté de l’écriture, faite de longues phrases hypnotiques qui simulent la description objective du monde dans tout ce qu’il peut avoir de laid et de magnifique pour mieux en atteindre la part indicible et fugace.
Mais L’Enquête est aussi le roman parisien d’un auteur qui y aura passé l’essentiel de sa vie adulte. Ainsi le livre alterne-t-il entre deux espaces géographiques, les rues grises du Paris hivernal (une atmosphère qui tient aussi de l’hommage discret à la tradition du polar francophone, Simenon en tête) et les méandres baroques du fleuve Paraná et de ses affluents. Et si l’intrigue policière, la poursuite par le commissaire Morvan d’un insaisissable tueur de petites vieilles (qu’il viole, torture et découpe en rondelles), se déroule intégralement dans les rues et sur les places du XIe arrondissement parisien, le quartier où vivait l’auteur, le présent du récit se déroule un soir de fin d’été sur la terrasse d’une guinguette en Argentine. Autour de cette table, sirotant une bière fraîche, on retrouve quelques-uns des personnages coutumiers du monde romanesque de Saer, et c’est l’un d’eux – Pigeon Garay, installé en France depuis des décennies et de passage dans sa ville natale – qui raconte à ses amis l’histoire de l’inspecteur Morvan.
Cet artifice permet à Saer de rester fidèle à sa volonté d’ancrer toute son œuvre dans une même zone géographique et de continuer de raconter les vies des divers membres de sa petite troupe. C’est pourquoi l’enquête, ici, est double : d’un côté la poursuite obstinée d’un tueur monstrueux dans un Paris sombre où semble peser une menace onirique qui tend à distordre le réel et à le projeter dans l’inconscient ; de l’autre, une quête littéraire autour d’un mystérieux « dactylogramme » laissé par le poète Washington Noriega, celui dont on fêtait l’anniversaire dans le roman Glose. Et, toujours, autre marque de fabrique saerienne, la vivacité des dialogues où brille une ironie mordante.

Guillaume Contré

L’Enquête, de Juan José Saer
Traduit de l’espagnol (Argentine) par Philippe Bataillon,
Le Tripode, 192 pages, 16

Une enquête en fragments Par Guillaume Contré
Le Matricule des Anges n°208 , novembre 2019.
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